Toute l'émotion qui se dégage des dernières œuvres de Georges de La Tour tient à leur douce simplicité : thèmes traditionnels, absence de détails, terreuse monochromie et cadrage serré autour d'une seule scène. Ici, une Nativité, poncif de l'art chrétien. Sainte Anne, sur la gauche, éclaire à l'aide d'une chandelle sa fille la Vierge Marie, qui tient l'Enfant Jésus dans ses bras. Elle est vêtue d'un bonnet et d'une tunique blanche. Sur la droite, la Vierge au visage ovale baisse tendrement les yeux vers son âme. Elle porte un grand manteau rouge brique et semble assise sur un banc de bois, tandis qu'un foulard blanc ceint sa chevelure. Fermement emmailloté dans son lange, le Christ dort dans le silence profond qui se dégage de la scène. Le fond est traité par un noir s'éclaircissant à la bougie autour de la figure de la grand-mère. Ce tableau est un monochrome, la seule couleur utilisée est ce beige orangé, chaud et presque rouge sur le manteau de Marie, rappel qu'une "épée [lui] transpercera le cœur" au jour du sacrifice de son fils, froid et presque brun pour les ombres, les ceintures et le collier de la Vierge. Ce dernier, qui semble compter douze pierres, pourrait renvoyer aux étoiles qui surmonteront sa tête lors de la vision de saint Jean à Patmos. Au centre de l'œuvre, l'éclat blanc des linges illuminés par la chandelle, qui nous reste dissimulée, indique que l'élément majeur de la scène est le visage du Rédempteur. Et qu'il est environné de pureté. La touche extrêmement lisse, que l'artiste adopte au milieu de sa carrière après avoir creusé de détails ses peintures, renforce encore l'épuration de l'image. Des volumes ronds aux courbes calmes composent les personnages, dont les surfaces brillent comme polies à l'agate, faisant ressortir leur forte masse des ténèbres, comme le Christ est "la lumière du monde" (Evangile selon saint Jean).
Comme le Christ encore, ce tableau comporte une part égale de divinité et d'humanité. Divinité dans le thème, humanité dans la simplicité de son traitement. Cette Nativité pourrait bien être n'importe quelle naissance dans n'importe quel intérieur européen. Nul surnaturel, nul registre céleste, nulle emphase. Nous sommes ici dans le courant réaliste de la peinture européenne, qui caractérise les écoles flamande, lombarde, sévillande, hollandaise, caravagesque et lorraine. Or, Georges de La Tour est un Lorrain influencé par le caravagisme d'Utrecht, en Hollande. Le fait de traiter des scènes religieuses comme des scènes de genre, également pratiqué par ses contemporains et compatriotes, les frères Le Nain, pourrait être lié à la piété franciscaine, alors en faveur au duché. Ce tableau fut offert pour les étrennes au duc de La Ferté-Senneterre, gouverneur français en Lorraine.
Georges de La Tour est l'un des sept enfants d'un boulanger et d'une boulangère lorrains. Il fut baptisé à Vic-sur-Teille en 1593 et inhumé à Lunéville en 1652. Peintre à succès, il sera anobli et le roi de France Louis XIII fera retirer tous les tableaux de sa chambre au profit du seul Saint Jérôme pénitent du peintre.
Gaspard Valènt, pour le SOCLE