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Geographica Livres I, II et III Strabon 20 av. - 23 ap. J.-C. (Partie II)

Pour la suite de notre voyage, nous parcourons les terres de l'Ibérie. Nouvelle occasion qui nous est donnée de contempler l'influence du temps long sur la physionomie des hommes, sur leur mentalité et leur culture. Si les peuples ont oublié leur nom, détruit leur sol et mêlé leur sang, la sève ibérique bat toujours avec force !

 

Gaspard Valènt, pour le SOCLE

 

Livre III : L'Ibérie

L'Ibérie est une nation peuplée des races Ibères et Celtes, et du mélange des deux : les Celtibères. Ibérie est le nom que les Grecs lui donnaient, en référence à l'Ebre, fleuve marquant sa frontière septentrionale, mais on peut encore l'appeler Espagne. Varron fait dériver ce dernier terme du dieu Pan, il est vrai que cette divinité convient parfaitement à la péninsule, pays de bergers, de boucs, de danseurs, de musiciens au sang chaud, nation fiévreuse et ivre, terre de sang et de soleil. Ebre est un terme lygien désignant une rivière. Pour cette description, nous garderons le livre III de l'Histoire naturelle de Pline l'Ancien à nos côtés. Strabon débute par le promontoire Sacré, cap Sud-Ouest de la péninsule. Actuellement doté d'un monastère franciscain, il était autrefois planté de menhirs autour desquels on tournait dans un sens, puis dans l'autre, après avoir effectué les libations d'usage. Il était défendu de s'y rendre la nuit.

 

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 Le promontoire Sacré, actuel cap Saint-Vincent au Portugal, est l'une des bornes de l'Europe, c’est aujourd’hui un important monastère franciscain.

 

La Turdétanie

Accostons sur les rivages de la région la plus méridionale de ce pays : la Turdétanie, qu'Hérodote nomme Tartèse et assimile au Tartare homérique. Strabon précise que ses habitants sont les "plus savants" des Ibères et que leurs "moeurs sont douces et policées". Pline confirmant que la Turdétanie "surpasse toutes les autres provinces par la richesse de sa culture". Si "les autres nations ibères ont aussi leur littérature", les Tartésiens ont une histoire, des poèmes et des lois en vers remontant à 6 000 ans. Cet âge, rapporté par Strabon, peut paraître extravagant, c’est pourtant le même que celui donné par Hérodote, qui précise dans ses Hisoires que les Tartésiens, ou Turdétans, sont "amis des Grecs" et inconditionnels soutiens des Massaliotes faces aux Phéniciens. Leur Constitution, gravée dans leur propre écriture sur deux tablettes de cuivre, avait été envoyée au sanctuaire apollinien de Delphes, en signe d’appartenance à une civilisation que les historiens appellent hellénique. Cette écriture paléo-ibérique nous est connue par soixante-quinze stèles datées des environs du VIIe s. av. notre ère. On en trouve dans toute l'Ibérie, avec des variantes régionales.

 

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Stèle de Bensafrim.

 

Mais déjà du temps d'Hérodote, les Turdétans - que nous préférons appeler de leur ancien nom de Tartésiens - n'étaient plus que les héritiers d'une monarchie s'étant éteinte vers l'an 600 av. notre ère avec le règne d'Arganthonios, bon roi ayant financé la construction des remparts de Massalia sans rien demander en échange. Les Phéniciens envahirent la Turdétanie au VIe s. av. notre ère et la maintinrent sous leur joug jusqu'à ce que les frères Scipion, suivis de nombreux peuples ibères, ne la libèrent en 212 av. notre ère. Les Tartésiens subiront une nouvelle invasion africaine en 711 ap. J.-C., dont ils ne seront entièrement libérés qu'en 1492. Leur capitale est mentionnée à plusieurs reprises dans l'Ancien Testament sous le nom de Tarsis. Le Livre de Jonas, écrit au IXe s. av. notre ère, précise qu'il s'agit d'une "très lointaine contrée" produisant du métal. Remontons plus loin encore. La Turdétanie comporte le plus important complexe mégalithique ibérique et l'un des plus importants d'Europe : le site d'Antequera, datant du milieu du IIIe millénaire, dont seulement le nom, pourtant antique, renseigne sur l’ancienneté de son âge.

 

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Dolmen de Menga, sur le site d'Antequera, IIIe millénaire.

 

C'est également à cette époque qu'apparaissent les idoles cylindriques, petites figurines de marbre trouvées le long du Guadalquivir et rappelant à la fois les idoles cycladiques et les statue-menhirs, contemporaines (4).

 

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Idolo de Extremadura, albâtre, 12,75 cm, IIIe millénaire, musée archéologique national de Madrid. Les archéologues pensent que ces hiératiques idoles préhistoriques représentent la déesse Atégina, vénérée par tous les peuples d'Ibérie et assimilée à Proserpine.

 

Les premiers dolmens andalous sont parmi les plus anciens au monde et remontent aux alentours de l'an 5000, tandis que l'on pense que les premiers agriculteurs vinrent dans cette région au cours du VIe millénaire, soit au même moment, apparemment de la mer Egée. C'est à cette époque qu'il faut placer le règne d'Habis, fils de Gargoris et héros fondateur de cette civilisation. Outre ceux délivrés par la précieuse archéologie, rares sont les témoignages aussi riches sur la civilisation mégalithique européenne. Leur capitale Tartessos était bâtie entre les deux bras de l'embouchure du Guadalquivir, appelé Baetis au temps de Strabon et Tartessos du temps d'Homère. Elle n'a toujours pas été trouvée mais les historiens sont convaincus qu'elle sommeille sous le delta du fleuve. Des images satellites ont d'ailleurs révélé des structures englouties.

 

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Lion ailé tartésien en bronze, VIIe s. av. notre ère, Paul Getty Museum, probable décor de trône.

 

Carteia, ancienne Héraclée, aurait été fondée par Héraclès ou Timosthène. Son vieux mur d'enceinte rongé de sel témoignait déjà, au Ier s., de sa haute antiquité. Les archéologues lui donnent trois mil ans.

 

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Ruines de Carteia, appelée Tartessos par les Grecs du temps de Strabon et de Pline, mais nommée Héraclée du temps de la civilisation tartésienne.

 

Les Celtes du Promontoire Sacré et les Bastétans sont à rattacher aux Turdétans. Les premiers doivent leur présence en ce lieu aux migrations gauloises des alentours du VIe s. av. notre ère. Aux seconds, nous devons une célèbre sculpture représentant une sévère matrone.

 

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La Dame de Baza, sculpture bastétane du IVe s. ap. J.-C., calcaire, taille naturelle, musée d'archéologie nationale de Madrid.

 

Les Turdules étaient un peuple si fortement influencé par la civilisation tartésienne que certains Anciens les y comprirent. La Turdétanie comprenait environ deux cents villes. C’est en fait l’Andalousie, dont « l’ambiance », « l’âme », découle directement de cette culture vielle de huit millénaires.

 

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Temple hexastyle corinthien du Ier s. ap. J.-C. à Cordoue.

 

Lîle de Gadira, en Tartésie, était peuplée d'indigènes tartésiens et de soldats romains choisis parmi les meilleurs. Se souvenant de leur récente décolonisation africaine, les Tartésiens se sentaient indéfectiblement liés aux Romains. C'est cette fraternité ainsi que leur "intrépidité" qui fit rapidement gagner une haute réputation aux Gaditans. Malgré la taille réduite de leur île, "il n'y a en effet pas de peuple qui envoie, soit dans la mer Intérieure, soit dans la mer Extérieure, un plus grand nombre de bâtiments et des bâtiments d'un plus fort tonnage que les Gaditans, [...] presque tous ont la mer pour demeure habituelle".

 

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Aucune cité ne comptait, à l'exception peut-être de Padoue, autant de chevaliers, puisque le dernier recensement en avait dénombré cinq cents. Située à l'Ouest de l'île, elle précédait le temple de Junon faisant face à la petite île sur laquelle se trouve actuellement le castillo de San Sebastian. Le temple d'Héraclès se trouvait au Sud-Est de l'île, sous l'actuel quartier de la Cortadura. Il s'y trouvait une source d'eau douce à laquelle on accédait en descendant quelques marches, qui se tarissait à marée haute et se remplissait à marée basse. Enfin, Erytheia, actuelle île de León, est celle que la Théogonie d'Hésiode donne au triple géant Géryon.

Les fertiles rivages du Baetis étaient admirablement cultivés et plaisants au regard. Le pays de Tartèse exportait du blé, de la laine, de la cire, du miel, de l'huile d’olive, du chêne kermès, du sel fossile, du fer, du cuivre, de l'argent, de l'or, des coquillages, de la charcuterie, du poisson, des crustacés et du vin. Certains de leurs produits étaient luxueux et d'une qualité hautement supérieure. Les vins complexes, élégants et fins de Tartèse sont encore fort réputés de nos jours, comme les Xérès, les Manzanilla de Sanlucar de Barrameda et les Montilla-Moriles. Ces derniers sont voilés de fleurs, comme on dit bellement. Il s'agit d'une fine couche filmogène de levures vivantes donnant un goût fort complexe et raffiné, l'ample et puissant Amontillado de Herederos Torres Burgos, avec sa robe ambrée et ses notes de vieux bois noble et de noisettes, en est un magistral exemple. Les Andalous comptent probablement les meilleurs vins généreux, vins généreux de liqueur et vins naturellement doux.

 

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Les salaisons ibériques en général, et tartésiennes, lusitanes, bastétanes et cerrétanes en particulier, étaient prestigieuses et préférables à celles de toutes les autres nations, à l'exception des gauloises, des aquitaines et des italiennes. Elles s'exportaient dans l'Europe entière, comme de nos jours, bien que leur qualité soit entrée, comme le reste, dans une profonde décadence. Pour retrouver le goût des antiques charcuteries tartésiennes, on aura soin de ne consommer que des Jamónes ibéricos de bellota dotés de l'étiquette noire, garantissant des jambons produits uniquement à partir de porcs de race ibérique élevés en liberté dans des pâturages où ils se nourrissent principalement de glands. L'huile d'olive andalouse, "huile excellente", est l'une des meilleures qui soient. Originaire d'un village provençal dont le nom signifie "l'oliveraie" et qui se targue de produire la meilleure huile, c'est avec amertume que j'ai dû reconnaître la supériorité des huiles tartésiennes, mais quelle belle amertume ! Une amertume d'herbe fraîche et d'artichaut, d'amande verte et de feuille d'olivier, mariée à un piquant frais, vert et intense et de notes sucrées de pomme, l'ensemble vêtu d'une soyeuse robe dorée. La même supériorité se remarque pour la laine andalouse, dont on tire des tissus pour lesquels "il est vrai qu'il n'y a rien de plus beau". Les Tartésiens réalisant également des tissus fins surpassant ceux que l'on faisait venir d'Asie. Leurs huîtres et coquillages, « énormes », étaient également fort appréciés. J'ai dit plus haut que la civilisation tartésienne était morte. J’avais tort : les civilisations naissent de la qualité d'un sol et d'un sang, qui ne sont qu'une seule et même sève. La race, le lieu et le moment disait Hippolyte Taine. Si le moment n'est plus à l'apogée des cultures européennes, le sol et le sang, quoiqu'en partie empoisonnés, sont toujours là. Installez-vous par un soir tiède dans la vieille ville de Cordoue, ou dans les quartiers de Santa Cruz, de Triana ou sur la Plaza del Salvador de Séville, commandez un verre de Mendoza que vous boirez accompagné d'un ajoblanco - cette délicieuses soupe froide faite d'amandes blanches, d'ail, de miel et de mie de pain - arrosé d'une huile d'olive, par exemple la Finca la Torre du domaine la Reja, à Bodabilla, ou une Fincon de la Subbética. Mêlez-vous à un botellón, allez danser une sévillana avant de finir la nuit sur les verts rivages du Guadalquivir, et vous sentirez tout le souffle puissant qui donna naissance à cette brillante et antique civilisation, certes disparue, mais dont la sève coule toujours avec fougue. Si les peuples ont oublié leur nom, détruit leur sol et mêlé leur sang, la sève ibérique bat toujours avec force (5). Strabon rapporte que les Ibères dansent par couple, les hommes vêtus de noir et les femmes de robes colorées, comme encore aujourd’hui. Séduisante sévillane, flamboyant flamenco, solennelle petenera, complexe farruca, joyeux fandango et alegría, mélancolique debla, lent et cadencé tiento, passionnée et modérée soleá, tragique seguiriya, énergique zapateado, et bien d'autres encore, le répertoire dansant ibérique est d'une richesse incomparable.

 

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Sévillanes dansées lors de verdiales, ces festivals ibériques, ici à Séville, les hommes vêtus de noir et les femmes de robes colorées, comme depuis des millénaires.

 

Depuis la plus haute antiquité, les Ibères ont fait de la danse, cette manifestation corporelle des émotions, un art complexe et raffiné porté à ses plus hauts sommets. Dansez, tournez, buvez ces vins capiteux et mangez ce porc onctueux, admirez ces fesses rebondies et respirez cet air chaud du soir d'été, c'est l'Andalousie, c'est le sang chaud de l'Europe du Sud, c'est la millénaire civilisation tartésienne qui s'ouvre à vous.

Strabon nous parle ensuite de la cité d'Odyssea, fondée par Ulysse et ses compagnons dans la montagne au-dessus d'Abdères, actuelle Adra, et à la localisation déjà oubliée. Elle fut décrite par Asclépiade de Myrlée, qui vécut parmi les Tartésiens et les Bastétans à la fin du IIIe s. av. notre ère. Ce grammairien grec parle d'une cité perdue dans les nuages, respectée pour la noblesse de son fondateur et comportant un temple dédié à Athéna, aux parois ornées de boucliers et d'éperons de navire. Il ne peut s'agir que d'un établissement de l’âge du bronze situé dans la cordillère bétique. Si Grenade, fondée au VIIe s. av. notre ère, est trop récente, Jaén, Andújar, Antequera, Úbeda et Ecira, fondées au Néolithique, voire occupées depuis le Paléolithique, sont trop anciennes. Guadix semble la candidate la plus appropriée : citadelle fortifiée fondée au Bronze ancien ou moyen, soit au temps d'Ulysse, elle se situe exactement au-dessus d'Adra.

 

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Cette farouche cité montagnarde, qui sera l'une des premières à se convertir au christianisme, fut décrite par les colons musulmans comme rebelle et belliqueuse. Toutefois colonisée, elle ne sera libérée qu'en 1490 par les Castillans, cette même année, une alliance de juifs et de musulmans tentera vainement de s'en emparer de la cité, donnant naissance à leur décret d'expulsion.

 

Asclépiade de Myrlée parle également de quatre cités fondées par des héros homériques chez les Ibères, trois chez les Callaïques, une chez les Cantabres. Dans les Pyrénées furent fondées les cités d'Amphilochi par les compagnons d'Amphiloque, d'Hellenes et une dernière par les compagnons de Teucer, fils de Télamon, demi-frère d'Ajax et meilleur archer des Achéens lors de la guerre de Troie. En Cantabrie fut fondée Ocela par Ocelas, compagnon d'Anténor, fondateur de Padoue. "Ces migrations des Hellènes", nous dit Strabon, "il y a lieu de croire qu'elles avaient eu pour cause le morcellement de la nation hellénique en tant de petites fractions ou Etats, que l'orgueil empêchait de former aucun lien ensemble, ce qui les laissait sans force contre les agressions venues de l'extérieur." Partisan de l'unité entre les tribus d'un même peuple, entre les peuples d'une même nation et entre les nations d'une même Europe, Strabon n'a de cesse de condamner la désunion. Hellène philoromain tel Polybe, il voit dans l'Empire l'espoir d'une unification de l'Europe dans la paix, la prospérité, la défense, le commerce et la sécurité.

 

Lusitanie et arrière-pays montagneux

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Carte détaillée des peuples et tribus d'Ibérie. On aura soin d'y ajouter les Callaïques, Celtes des Pyrénées, les Sordons le long du Tech (dont une partie du peuple, sous les poussées des Celtes, aux alentours du XIIe s. av. notre ère, colonisera la Sardaigne à laquelle elle donnera son nom), les Cariètes dans le département de Clunia et les Suessétans dans la région de Cinco Villas. Enfin, les Turmodiges sont à remplacer par les Vennenes, les premiers n'étant qu'une tribu des seconds.

 

Passons maintenant au pays des Lusitans, "la plus puissante des nations ibères". "Agiles, lestes et souples", ils étaient armés de petits boucliers et de poignards et protégés de cuirasses de lin et de casques de cuir. Les aristocrates portaient la cotte de maille et le casque à triple cimier. Leur principale divinité était Endovelico, où Le Très Bon. C'est l'actuel Bom Deus des Portugais.

 

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Antique sanctuaire d'Endovelico dans la province d'Alentejo au Portugal.

 

Dieu protecteur, bienfaisant et thanatologique, il s'apparente à Esculape autant qu'à Hadès. Son culte, d'abord strictement lusitan, deviendra pan-européen au Ve s. ap. J.-C., dans cette koinè de l'Antiquité tardive qui unifia l'Europe peu avant le triomphe définitif du christianisme. Comme tous les peuples d'Ibérie, les Lusitans vénéraient Atégina, enfin, ils adoraient la divinité martiale Runesocesius, le Mars des Latins, l’Arès des Hellènes.

Les Callaïques, les Astures et les Cantabres, peuples montagnards, vivaient à la manière des Lacédémoniens, se frottant le corps d'huile avant de le racler d'étrilles, de le réchauffer dans une étuve et de le raffermir dans un bain froid. Ils portaient les cheveux longs et flottants, mais les ceignaient d'un bandeau lors du combat, couchaient sur la dure et ne prenaient qu'un seul repas par jour, "très proprement apprêté, il est vrai, mais d'une extrême frugalité." Les trois-quarts de l'année, ils ne mangeaient quasiment qu'un pain de glands et de la viande de bouc. Avec l'eau, la bière "y est la boisson ordinaire", quant au vin, il se consommait "dans ces grands banquets de famille, si fréquents chez ces peuples."

 

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Cerbeja Lince, la bière du Lynx, est produite par une micro-brasserie portugaise artisanale respectant autant que faire se peut la manière antique, et dont les revenus sont en partie versés à un programme de protection du lynx ibérique, gravement menacé d'extinction.

 

Ces montagnards "célèbrent les jeux gymniques, hopplitiques et hippiques, dans lesquels ils s'exercent au pugilat et à la course, et simulent des escarmouches et des batailles rangées." Notons un trait militaire particulier des Ibères, qui "ménageaient en quelque sorte et morcelaient la guerre, ne combattant jamais tous à la fois, mais par bandes détachées et tantôt sur un point, tantôt sur un autre, à la façon des brigands." Ce n'est point hasard, à mon sens, si le terme de cette définition est castillan dans toutes les langues. La guérilla, en effet, semble être la manière de combattre privilégiée des Espagnols, des Portugais et des Américains latins. C'est, du reste, pour définir la stratégie militaire que l'Espagne opposait au Premier Empire qu'il entra dans la langue française. Arrêtons-nous chez ces peuples des montagnes pour nous asseoir sur ces bancs de pierre courant le long des murs intérieurs de leurs maisons. Ils s'y installaient suivant leur rang et leur âge en faisant passer les plats et les boissons de main en main, "tout en buvant, les hommes se mettent à danser, tantôt formant des choeurs au son de la flûte et de la trompette, tantôt bondissant un à un". Voici la soirée qui se prolonge, voilà les familles réunies, laissons-nous porter par le son des instruments et des voix et par le vin jusqu'au matin, avant de repartir plus au Nord. Les Astures, "Peuple des rivières" en celte, sont regroupés en vingt-deux tribus dont la capitale est, selon Pline l'Ancien, "la superbe Asturica", actuelle Astorga. Ils comptaient "deux cents quarante mil hommes libres."

 

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En rouge sont les noms des tribus astures, en noir les noms de lieux.

 

Pyrénées

Poursuivons vers le Nord jusqu'aux "vallées parfaitement habitables" des parties centrales de la chaîne pyrénéenne, où vivent les Cerrétans, "de race ibérienne". Leurs "excellents jambons" sont si recherchés qu'ils ont donné richesse à cet humble peuple montagnard. Aujourd'hui encore, le jambon noir de Bigorre élevé en plein air, nourri dans les sous-bois, les prairies et au pâturage, reste l'un des plus estimés au monde. L'antique race du porc noir de Bigorre avait failli disparaître dans les années 1980, faute de sa rentabilité, mais des éleveurs amoureux de ce patrimoine gastronomique se sont regroupés afin de la conserver. La voilà donc paissant librement dans les vallées pyrénéennes, mangeant l'herbe des prés, le gland, l'orge, la triticale et la châtaigne et donnant une viande onctueuse, sucrée, salée, capiteuse, aux arômes de terre humide, de noisette et de marrons glacés. Une de ces vallées, celle des Aldudes, est le berceau du kintoa, une spécialité charcutière d'excellence. Il est produit à partir de porcs basques pure race élevés en liberté dans les forêts, les landes et les prairies, où ils se nourrissent de fougères-aigle, de bruyère, d'ajoncs, de noisetiers, de chênes pédonculés, de châtaigniers, d'herbe des bois et de hêtre.

 

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Porcs basques et leur éleveur, dans une vallée pyrénéenne.

 

Les Callaïques, ou Gallaeci, sont, comme leur nom l'indique, un peuple gaulois. Montagnards pyrénéens, Strabon les dit athées, tandis que les Celtibères, et tous les peuples qui se trouvent directement au-dessus, croient en une divinité qu'ils honorent en se réunissant chaque mois, la nuit de la pleine lune, devant la porte de leur maison, la famille au grand complet. Ils entonnent alors des chants en choeur et dansent jusqu'à l'aube. Nous retrouvons ici le plaisir que la race ibère accorde au chant et à la danse ainsi qu'un monothéisme pré-chrétien qui, à mon sens, explique en partie leur profonde piété.

 

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Les Pyrénées, frontière entre l'Ibérie et l'Aquitaine, territoire des Callaïques et des Cerrétans.

 

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Castell de San Ferran de Berga, antique capitale de Bergistans, aujourd'hui bâtie d'un pittoresque château datant des XI, XII, XIII et XIVe s. ap. J.-C..

 

Notes

4 - Le phénomène des statue-menhirs s'est manifesté dans toute l'Europe au cours des IV et IIIe millénaires, mais n'a jamais dépassé les bornes de notre continent. Sa frontière orientale est le Don, sa frontière méridionale les rivages septentrionaux de la Méditerranée, sa frontière occidentale l'océan Atlantique et ses manifestations les plus septentrionales se trouvent en Scandinavie. Il s'agit donc, à l'instar de l'Aurignacien, du Gravettien, du Magdalénien, du Mégalithisme, du Gothique, du Classicisme, du Baroque et de l'Art nouveau, d'un phénomène esthétique pan-européen et strictement européen. L'existence des ídolos cilíndricos andalouses, qui s'y rattachent, atteste que la culture tartésienne fut, à ce moment-là, composante d'une civilisation européenne homogène qui semble correspondre avec ce que les archéologues appellent la culture de la céramique cordée.

5 - Nous donnons ici l'impact génétique des invasions maghrébines en Europe.

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