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Æterni Patris, de Léon XIII

L’encyclique Æterni Patris est datée du 4 août 1879. Pour son contexte historique, on rappellera que l’Europe dessine alors les prémisses de son suicide de la Grande Guerre. Les fiertés nationalistes s’exacerbent partout sur le continent. La sécularisation des us et des lois s’accélère, en particulier en France, où la jeune IIIe République vient d’exclure symboliquement les autorités religieuses du Conseil des Universités. La condition du peuple laborieux est catastrophique, et sera le terreau des nouvelles idéologies socialo-communistes. Germinal sera écrit cinq ans plus tard par Zola, roman témoin de la vie broyée des petites gens.

Eu égard à sa fonction, l’Eglise entendra naturellement endiguer et combattre les maux de ce qu’elle nommera dans ses textes officiels du Concile de Vatican I les « erreurs modernes ». Elle diagnostique la sécularisation des peuples, le nationalisme fratricide, la prolétarisation des masses et son faux antidote communiste comme les avatars de cette modernité née des évolutions de la pensée européenne des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles.

 

C’est ainsi dans une volonté d’armer les fidèles d’une pensée explicitement antimoderne que l’encyclique Æterni Patris est envoyée aux clercs. Le pape Léon XIII y invite ces derniers à se tourner vers la seule pensée capable de résister aux assauts du monde contemporain : celle du plus grand des scholastiques, le Docteur Commun et Angélique de l’Eglise Catholique, Saint Thomas d’Aquin.

 

 

Vaslav Godziemba, pour le SOCLE

La critique positive de Æterni Patris au format .pdf

 

 

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 « Que faire donc ? Je prierai par l'esprit, mais je prierai aussi avec l'intelligence ; je chanterai par l'esprit, mais je chanterai aussi avec l'intelligence. »

Première épître aux Corinthiens (14:15)

 

 

 

Lettre encyclique et Æterni Patris

 

En allant sur le site officiel de l’Eglise Catholique de France [1], nous apprenons qu’une encyclique est une lettre solennelle du Pape adressée en priorité aux ecclésiastes puis à tous les fidèles, et porteur d’un enseignement. Quoiqu’émanant du Souverain Pontife, elle n’a pas valeur de dogme en soi. Elle est à considérer comme la recommandation officielle de la Sainte Eglise sur un sujet déterminé.

Par sa fonction de recommandation, et sauf mention contraire, elle n’est donc pas marquée du sceau de l’infaillibilité pontificale [1n].

En regard de l’importance naturelle que revêtent les déclarations des papes sur la pensée catholique, la critique positive des encycliques semblait un travail incontournable. A l’heure d’écriture de ces lignes, le SOCLE a déjà eu l’opportunité de faire le commentaire de deux encycliques papales : Fides et Ratio, dernière encyclique du XXe siècle, écrite par Saint Jean-Paul II [2] ; et Laudato Si’, encyclique de l’actuel pape François traitant de l’écologie chrétienne intégrale [3].

 

Pour ce qui concerne l'encyclique Æterni Patris, rarement un texte émanant de l’autorité vaticane n’eut d’impact si important sur le cours de la pensée chrétienne. Il eut pour conséquence l’avènement du néo-thomisme, réappropriation de la pensée de Thomas d’Aquin et qui devint majoritaire dans les séminaires, les universités et les écoles catholiques jusqu’au Concile de Vatican II et les grandes réformes progressistes de la seconde moitié du XXe siècle.

 

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Figure 1 : « Léon XIII y invite (…) à se tourner vers la seule pensée capable de résister aux assauts du monde contemporain : celle du plus grand des scholastiques, (…) Saint Thomas d’Aquin »

Portrait photographique du pape Léon XIII (Auteur inconnu, v. 1890)

 

 

Partie I - Les vaines subtilités de la philosophie

 

Comme il est de rigueur au départ d’une lettre encyclique, le pape Léon XIII exhorte ses frères à une écoute attentive en communion avec le Saint-Siège. Il rappelle que la légitimité de la Sainte-Eglise et le primat de l’évêque de Rome (en tant qu’héritier de Pierre) émanent de la Parole de Jésus lui-même. Cette précision, qui peut sembler superflue, s’entend dans le contexte d’alors. Certains chrétiens, prélats comme laïcs, étaient en ces temps tentés par la morale séculière, et menaçaient la préséance de l’enseignement de l’Eglise. Dit implicitement mais clairement : celui qui s’oppose ouvertement à l’Eglise s’oppose au dogme et à la sagesse des Ecritures. Si problème avec le dogme il y devait néanmoins y avoir, il conviendrait de le régler à l’intérieur même de l’Eglise avec la déférence obligatoire pour le Vicaire du Christ.

Précision faite, Léon XIII introduit son propos sur les rapports entre la philosophie et la foi. Il rappelle que dès son avènement, le christianisme a dû s’opposer à ce que Saint-Paul accusait être « les vanités de la philosophie » [5]. Les philosophies pouvaient en effet devenir des systèmes antagonistes à la révélation christique, lorsqu’elles proposaient aux hommes des voies de rédemption incompatibles avec celles du message catholique. Rien de bien surprenant, donc, que d’assister en cette fin de XIXe siècle à la corruption de la « pureté de la Foi » par un excès desdites « vaines subtilités » que certaines philosophies avaient proposées à l’Europe.

 

Prenons garde toutefois aux raccourcis dangereux. Il n’est en aucun cas question d’opposer Fides et Ratio de façon consommée et péremptoire. Comme l’homme marche sur deux jambes, la foi a besoin de la philosophie autant que la philosophie de la foi. La philosophie n’est donc pas l’ennemi de la foi, loin s’en faut. Dans la perspective catholique, elle est seulement incomplète. Car si l’ataraxie [2n] qui découle du juste exercice de la raison peut mener à une forme de sagesse, cet état d’âme ne saurait conduire l’Homme au Salut.

L’optique de Léon XIII apparait claire : redire et reformer l’osmose fructueuse entre Fides et Ratio. En regard de son œuvre, Saint-Thomas d’Aquin devenait ici naturellement le penseur de la situation.

 

 

Partie II - La philosophie au secours de la foi

 

Le pape invite les clercs à reprendre conscience d’un dogme millénaire : Dieu n’aurait jamais semé en nous la raison si elle n’était pas performative. Elle est la faculté singulière qui permet, par analogie, de comprendre la Grandeur du Divin et l’Ordre de la Création. Elle est un tremplin vers l’Absolu. Léon XIII fait siens les mots de Saint-Augustin lorsqu’il attribuait à la science des hommes la capacité à 1. Engendrer ; 2. Nourrir ; 3. Défendre et 4. Fortifier la foi.

 

A l’instar d’un Chesterton quelques décennies plus tard [6], Léon XIII défend l’idée que la sagesse des antiques fut en réalité salutaire. Car elle a permis « d’aplanir le chemin » de l’intellect vers la foi véritable [7]. A cet effet, la philosophie qui remportera naturellement la plus grande estime auprès des premiers chrétiens fut celle de Platon, pour la proximité de ses concepts théoriques et de sa morale. Lors des temps scholastiques, ce sera la pensée d’Aristote qui se trouvera un renfort adéquat à la théologie. La pensée thomiste est dans cette optique la forme la plus achevée de ce que l’on peut nommer ici un « aristotélisme catholique ».

 

« (…) Dans son extrême bonté, Dieu, dans l'ordre des choses divines, nous a manifesté par la lumière de la foi, non seulement ces vérités que l'intelligence humaine ne peut atteindre par elle-même, mais encore beaucoup d'autres qui ne sont pas absolument inaccessibles à la raison, afin que, confirmées par l'autorité divine, elles puissent, sans aucun mélange d'erreur, être connues de tous » [8]

 

Au-delà des différentes écoles de pensée, c’est donc la raison même qui permet, en contemplant l’Œuvre, de contempler l’Ouvrier. C’est en ce sens que l’intelligence aide. Petit rappel étymologique ici : le mot français « intelligence », qui vient de la composition latine du préfixe inter- (« entre ») et du verbe lĕgĕre (« cueillir, choisir, lire »), signifie littéralement « opérer une sélection logique ». Autrement dit, c’est en observant l’harmonie des formes et des signes, en faisant des ponts inductifs et des choix déductifs entre les phénomènes, remarquant les invariances et les absolus qui se cachent derrière les apparences, que nous accédons à la Loi Naturelle de Dieu, et donc en dernière instance à Dieu. Les propos du pape font un nouvel écho aux célèbres Quinque Viae de Saint-Thomas d’Aquin [9], ou les cinq voies permettant d’accéder à l'existence de Dieu par la raison. Nous y reviendrons en temps voulu dans le cadre des travaux du SOCLE.

Un deuxième secours de la philosophie et de la raison réside dans sa capacité à fournir un discours formel et intelligible à la théologie. Léon XIII plaide donc pour le retour d’une forme très scholastique de théologie rationnelle :

 

« C'est d'elle [La raison] que la théologie sacrée doit recevoir et revêtir la nature, la forme et le caractère d'une vraie science. Il est, (…), de toute nécessité que, (…) parties nombreuses et variées des célestes doctrines soient rassemblées comme en un seul corps. » [10]

 

Rappelons que le Christ lui-même parlait en paraboles, qui sont des récits analogiques et métaphoriques dont la compréhension passe par l’emploi de la recta ratio, i.e. de l’emploi droit et juste de la raison. Par le mode d’enseignement qu’Il a laissé, le Seigneur nous invite ainsi à l’interprétation des Paroles et des Ecritures Saintes. Le bon catholique n’est donc jamais un littéraliste pur, ce qui lui permet de faire constamment dialoguer la Bible avec les évolutions de la Cité des hommes. L’un des exemples les plus brillants de ce dialogue fut sans aucun doute l’encyclique Rerum novarum de 1891 (commise d’ailleurs par le même pape Léon XIII). Celle-ci est la pierre fondatrice de la Doctrine Sociale de l’Eglise [11], et répond à la détresse socioéconomique des couches modestes des sociétés européennes d’alors.

 

Le troisième secours qu’offre la philosophie à la foi réside dans les arguments qu’elle lui offre. Face aux ennemis de la foi, Léon XIII juge qu’il est « un beau titre d’honneur » pour la raison que de combattre à ses côtés [12]. Les célèbres disputatio de Saint-Paul sont les exemples canoniques à suivre en la matière. Armé de la Vérité et de la dialectique, l’apôtre devenait alors « l’orateur invincible » que la Tradition décrit. Aux temps de l’écriture de l’encyclique Æterni Patris, le grand système ennemi était alors le positivisme d’Auguste Comte, héritier des formes dégradées du cartésianisme et de la philosophie de Condorcet. Le pape réactive ici la position affichée lors du cinquième concile de Latran sur la question :

 

« L'Eglise elle-même, non seulement conseille, mais ordonne aux Docteurs chrétiens d'appeler à leur aide la philosophie. » [13]

 

Le mot de « philosophie » est à prendre ici en son acception antique, et incluant nos sciences exactes et humaines modernes. On comptera alors chez les plus grands penseurs scientifiques du XXe siècle d’ardents défenseurs de la légitimité de la foi, et plus généralement des questionnements métaphysiques, face à l’hybris des scientistes et positivistes. Wittgenstein, Gödel, Einstein, Poincaré ou l’abbé Lemaitre (naturellement) formulèrent tous à un point donné de leur parcours respectif des critiques sévères de ce rationalisme extrême [14] [15] [16] [17] [18]. Les scientistes comptent de façon assez contre-intuitive dans leur rang des hommes qui ne comprennent rien à ce qu’est réellement la méthode scientifique. Le sentiment de Louis Pasteur donne à cet effet matière à réfléchir :

 

« Un peu de science éloigne de Dieu, beaucoup de science y ramène. »

 

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Figure 2 : « L'Eglise elle-même, non seulement conseille, mais ordonne aux Docteurs chrétiens d'appeler à leur aide la philosophie. »

La Dispute du Saint-Sacrement, Raphaël, (détail, 1509-1510)

 

 

Partie III - La foi au chevet de la raison

 

Si la philosophie sait aider la foi en étant, selon le mot de Saint Thomas d’Aquin, sa servante indispensable, l’inverse est tout aussi vrai. Léon XIII expose que la foi donne force, consistance et sens à la philosophie.

Premièrement, l’Homme de la civilisation de la seule rationalité se retrouve amputé d’une partie fondamentale de son être. Malgré l’optimisme naïf des positivistes, les domaines de l’esthétique, de l’éthique ou du politique restent aujourd’hui encore bien hermétiques à la raison. Ce qui est fort naturel : les valeurs, qu’elles soient esthétiques, éthiques ou politiques, ne se démontrent pas, contrairement aux constructions philosophiques et aux théorèmes.

L’homme de la civilisation de la seule rationalité, l’individu postmoderne, oublieux du sens de l’existence, se perd dans une extension maximale de son activité hyper-rationnelle pour palier le nihilisme de sa condition. Et Léon XIII de rappeler le remède :

 

« Au contraire, la foi chrétienne, appuyée qu'elle est sur l'autorité de Dieu, est une maîtresse très sûre de vérité : qui la suit, ne se laisse pas enlacer dans les filets de l'erreur ni ballotter par les flots d'opinions incertaines. » [19]

 

Ces « flots d’opinions incertaines » sont le synonyme de l’absence d’échelle de valeurs chez cet homme. Si l’on devait analyser cela en des termes psychophysiologiques, nous dirions que l’idée de Dieu est ce que Kant nomme un « idéal régulateur » de la raison [20]. Elle lui donne un sens, en tant que signification et direction. Le souverain pontife l’affirmera ici avec la solennité de sa fonction :

 

« La splendeur des vérités divines, en pénétrant l'âme, vient en aide à l'intelligence elle-même, et, loin de lui rien ôter de sa dignité, accroît considérablement sa noblesse, sa pénétration, sa solidité. » [21]

 

Une seconde aide indispensable de la foi à la philosophie est exposée par Léon XIII. Celle-ci réside dans la capacité de la foi à rendre consistante et sérieuse la philosophie. En effet, la philosophie qui défend inlassablement la foi apparait comme une lame passée sur une pierre d’affutage. Les paradoxes et les antinomies que le philosophe rencontre sont légions. Qu’ils viennent des attaques des adversaires du catholicisme ou de l’incompatibilité apparente entre la Création et les Ecritures, le philosophe n’aura de cesse de vouloir augmenter le nombre d’arguments et de preuves à sa disposition. Il redoublera de force, à la recherche inlassable de la démonstration adéquate, augmentant par conséquent en quantité et en valeur le savoir et la connaissance à disposition de la Cité des hommes.

C’est dans cette optique que le pape reprendra la conclusion du Concile de Vatican I sur la question :

 

« La foi délivre de l’erreur la raison et la prémunit contre elle et la dote de connaissances variées. » [22]

 

Et ce dernier de conclure :

 

« L’homme, s'il est sage, ne doit pas accuser la foi d'être l'ennemie de la raison et des vérités naturelles ; mais il doit (…) se féliciter (…) de ce que (…) la très sainte lumière de la foi brille à ses yeux, et, comme un astre bienfaisant, lui montre, à l'abri de tout péril d'erreur, le port de la vérité. » [23]

 

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Figure 3 : « La philosophie qui défend inlassablement la foi apparait comme une lame passée sur une pierre d’affutage. »

L’Ecole d’Athènes, Raphaël, (1509-1510)

 

 

Partie IV - Brève histoire des relations de la foi et de la philosophie

 

Après avoir exposé les rapports mutuels entre foi et raison, Léon XIII s’engage dans la démonstration historique de ceux-ci, en faisant la généalogie des grands apologistes chrétiens et catholiques qui ont marqué les siècles de l’Europe.

Au rang des premiers pères, nous retrouvons Saint Justin, considéré par la Tradition comme le premier philosophe chrétien. Pour Justin, la philosophie – en tant que recherche de la Vérité – trouve son accomplissement et la fin de sa quête en Dieu. Si la philosophie recherchait la plénitude, l’essence de l’être par le logos, elle trouve enfin complétude dans le Christ, le logos incarné. A la suite de Justin, l’encyclique cite les apologistes Quadrate, Aristide, Hermias, Athénagore, puis le grand Irénée de Lyon, Clément d’Alexandrie, Lactance et Arnobe, qui tenaient à ne bousculer la philosophie qu’à la condition de son erreur évidente, et à la réfuter avec ses propres armes. Nous retrouvons évidemment dans cette liste Jean Chrysostome, littéralement Jean « à la Bouche d’Or », tant son éloquence, son art de la maïeutique et de la dialectique avaient stupéfait ses contemporains.

Mais celui qui embrasse par l’amplitude et la profondeur de son œuvre toutes les réflexions des précédents est Augustin d’Hippone, Saint-Augustin, ce « prince du christianisme antique ». Ses ouvrages majeurs, tels que La Cité de Dieu [3n] et Les Confessions, seront des socles de réflexions fondamentaux durant les siècles suivants pour une majorité de penseurs européens, des théologiens qui succédèrent à Augustin jusqu'à nos libre-penseurs contemporains. La liste des premiers philosophes chrétiens s’achève avec Grégoire de Nazianze et Jean Damascène, porteurs de la Tradition à l’Est, et Boëce et Saint-Anselme, continuateurs de la pensée d’Augustin à l’Ouest.

 

Nous arrivons alors au Moyen-Âge et à la pensée scholastique, pensée qui connut son acmé au sein de l’Université de Paris et des ordres mendiants du Royaume de France. Les docteurs scholastiques contribuèrent ainsi de façon décisive à l’enrichissement de la Tradition :

 

« Ils [recueillirent] avec soin les riches et abondantes moissons de doctrine, répandues çà et là dans les œuvres innombrables des Pères, et en [firent] comme un seul trésor, pour l'usage et la commodité des générations futures. » [25]

 

L’éloge fait à la théologie s’étend de ce fait naturellement à l’entièreté du savoir philosophique. En même temps qu’elle permit de comprendre et interpréter les Ecritures et de combattre les hérésies et les erreurs, elle donna par surcroit au monde le savoir des antiques et un ensemble de connaissances inestimables.

Mais parmi tous les docteurs et les penseurs, celui dont le triomphe de la pensée a été totale fut le grand Saint-Thomas d’Aquin.

 

 

Partie V - L'œuvre immortelle du Docteur Angélique

 

Jamais homme, depuis les premiers apôtres, n’eût d’impact si décisif sur la doctrine et la foi. L’influence de sa pensée sur la constitution du dogme de la Sainte Eglise Catholique Romaine fut telle qu’il est considéré comme le « Docteur Commun » des croyants et des prélats. Son œuvre majeure est la Somme Théologique, Summa Theologica, colossal ouvrage dont le volume n’égal que la densité intellectuelle. Au cours des siècles qui suivirent sa vie terrestre, l’immense majorité des ordres religieux avaient fait leur l’enseignement du Docteur Angélique. Les dominicains desquels il était issu, naturellement, mais aussi les bénédictins, les carmes, les augustins et les jésuites. Il en a été ainsi, affirme Léon XIII, parce que Saint Thomas était parvenu à des conclusions solides et défendables.

Les papes et les conciles œcuméniques le tinrent en la plus haute estime, et spécialement les conciles de Lyon, de Vienne, de Florence et du Vatican. Léon XIII raconte que c’est toutefois lors du Concile de Trente qu’il reçut l’honneur le plus grand. Les Pères, désireux de recevoir les lumières des plus grands enseignants, ouvrirent sur le maître autel en compagnie des Saintes Ecritures et des décrets des papes la Somme Théologique de Thomas d’Aquin. Ce fait, unique dans l’histoire de l’Eglise, est la traduction de l’estime que les prélats lui portaient.

Pour toutes ces raisons à la fois théologiques, philosophiques et historiques, le pape appelle à un retour aux sources de la théologie scholastique et à l’enseignement de Saint-Thomas d’Aquin. Contre les idoles modernes, le matérialisme et le relativisme, l'enseignement de la philosophie scholastique et de la théologie auprès des séminaristes et des étudiants universitaires permettrait alors de réconcilier la civilisation européenne avec le Sens.

 

« Ce que saint Thomas nous enseigne sur la vraie nature de la liberté, qui de nos temps, dégénère en licence, sur la divine origine de toute autorité, sur les lois et leur puissance, sur le gouvernement paternel et juste des souverains, sur l'obéissance due aux puissances plus élevées, sur la charité mutuelle qui doit régner entre tous les hommes ; ce qu'il nous dit sur ces sujets (…) a une force immense, invincible, pour renverser tous ces principes du droit nouveau, pleins de dangers (…) pour le bon ordre et le salut public. » [26]

 

Contrairement à ce que laisse penser la doxa républicaine depuis Michelet, les XVIe et XVIIe siècles n’ont pas correspondu à une redécouverte nette et brutale de la sagesse antique à la suite d’un Moyen-Âge obscurantiste et décadent. Les positions d’un Erasme, héraut de la raison et célébré comme le « premier des humanistes », affirmait que les docteurs scholastiques avaient « contaminé » le christianisme par la philosophie antique [27], ou de Martin Luther qui affirmera en 1517 « les philosophes du Moyen Âge ont livré les clés de la théologie à la morale païenne » [28], disent en négatif ce que Saint-Thomas d’Aquin et les scholastiques avaient de sacré et de bon.

 

Avec Léon XIII, nous conviendrons qu’ils étaient bien au contraire des travailleurs rigoureux et acharnés, ayant offert toutes leurs vies terrestres à Dieu et à son œuvre. Ils étaient l’incarnation de ce que notre civilisation a pu fournir de plus achevé : des fils du miracle grec et du miracle chrétien, ayant fait de la tempérance, de l’émerveillement et de la piété leurs armes de batailles.

 

Avec Léon XIII, sachons faire nôtre l’exemple de leur vie et de leur pensée, et défendre inlassablement la foi, les sciences, la philosophie et la Tradition.

 

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Figure 4 : « L’influence de [la] pensée [de Saint-Thomas d’Aquin] sur la constitution du dogme de la Sainte Eglise Catholique Romaine fut telle qu’il est considéré comme le « Docteur Commun » des croyants »

Le triomphe de saint Thomas d'Aquin, Francisco de Zurbarán (1631)

 

 

Pour le SOCLE

 

 

Quoique la modernité se soit muée en postmodernité, la bataille contre les « vaines subtilités philosophiques » évoquées par Léon XIII est toujours d’une brûlante actualité.

 

La Science et la Philosophie des hommes à la capacité à 1. Engendrer ; 2. Nourrir ; 3. Défendre et 4. Fortifier la Foi.

 

L’homme de la civilisation de la seule rationalité, l’individu postmoderne, se perd dans la folie du zeitgeist. La foi redonne ici force, consistance et sens à la raison.

 

Depuis l’aube des temps chrétiens, la foi et la raison ont toujours été intriquées dans l’œuvre et la vie des plus grands saints et auteurs chrétiens.

 

Parmi tous les auteurs, le seul dont l’œuvre est capable à elle seule de s’opposer à toutes les erreurs philosophiques de la modernité et de la postmodernité est le Docteur Angélique et Commun, le plus grand des scholastiques, Saint-Thomas d’Aquin.

 

 

Références bibliographiques

 

  1. EGLISE CATHOLIQUE EN FRANCE, Encyclique, Glossaire, 2019. Disponible en ligne : https://eglise.catholique.fr/glossaire/encyclique/ [consulté le 21 mai 2019]
  2. VASLAV GODZIEMBA, Critique Positive de : Fides et Ratio, par Jean-Paul II, 2016. Disponible en ligne : http://lesocle.hautetfort.com/archive/2016/02/08/l-encyclique-fides-et-ratio-de-jean-paul-ii-5756987.html [consulté le 21 mai 2019]
  3. FRANCOIS LECLERC, Critique Positive de : Laudato Si’, par François, 2016. Disponible en ligne : http://lesocle.hautetfort.com/archive/2016/06/03/l-encyclique-laudato-si-de-francois-5810336.html [consulté le 21 mai 2019]
  4. CONSTITUTION DOGMATIQUE « PASTOR AETERNUS », Ier concile du Vatican, 4e session, 18 juillet 1870. Disponible en ligne : http://www.clerus.org/bibliaclerusonline/pt/jvy.htm#el [consulté le 21 mai 2019]
  5. 1 Corinthiens (2:4)
  6. VASLAV GODZIEMBA, Critique Positive de : L’Homme Eternel, par Gilbert Keith Chesterton, 2017. Disponible en ligne : http://lesocle.hautetfort.com/archive/2017/05/07/l-homme-eternel-de-gilbert-keith-chesterton-5941400.html [consulté le 24 mai 2019]
  7. LÉON XIII, Lettre encyclique Æterni Patris, §6, 1879. Disponible en ligne : http://w2.vatican.va/content/leo-xiii/fr/encyclicals/documents/hf_l-xiii_enc_04081879_aeterni-patris.html [consulté le 24 mai 2019]
  8. §7
  9. SAINT THOMAS D’AQUIN, « Dieu existe-t-il ? », Somme théologique. Ière partie, question 2, article 3, 1266-1273
  10. §11
  11. DIOCESE DE PARIS, La Doctrine sociale de l’Eglise : qu’est-ce que c’est ?, 2019. Disponible en ligne : https://www.paris.catholique.fr/la-doctrine-sociale-de-l-eglise-qu.html [consulté le 24 mai 2019]
  12. §12
  13. §14
  14. LUDWIG WITTGENSTEIN, Tractatus logico-philosophicus, 6.371, 1921
  15. KURT GÖDEL, « Ontological Proof ». Collected Works: Unpublished Essays & Lectures, Volume III. pp. 403-404. Oxford University Press, 1995
  16. SIXTINE CHARTIER, Qui est le Dieu d’Einstein ?, lavie.fr, Rubrique Sciences, 6 décembre 2018. Disponible en ligne : http://www.lavie.fr/debats/idees/qui-est-le-dieu-d-einstein-06-12-2018-94915_679.php [consulté le 24 mai 2019]
  17. CHARLES NORDMANN, Henri Poincaré - Son œuvre scientifique - Sa philosophie, Revue des Deux Mondes. 6e période, Tome 11, p. 331-368, 1912
  18. DOMINIQUE LAMBERT, Monseigneur Georges Lemaître et le débat entre la cosmologie et la foi, Revue Théologique de Louvain. 28-1, pp. 28-53, 1997
  19. §17-1
  20. EMMANUEL KANT, Logique transcendantale, Dialectique transcendantale, Critique de la raison pure. Livre II, Chapitre 3, Section 1, p. 413, 1787
  21. §17-2
  22. §18-1
  23. §18-2
  24. VASLAV GODZIEMBA, Critique Positive de : La Cité de Dieu, par Saint Augustin, 2016. Disponible en ligne : http://lesocle.hautetfort.com/archive/2016/02/07/la-cite-de-dieu-de-saint-augustin-5756863.html [consulté le 25 mai 2019]
  25. §26
  26. §44
  27. ERASME, Lettre à Martin Dorpius, 1515
  28. THEOBALD SÜSS, Remarques sur la " Controverse contre la théologie scolastique ", Bulletin de la Société de l'Histoire du Protestantisme Français, Vol. 113, pp. 313-331, 1967

 

Notes

 

[1n] Infaillibilité pontificale qui ne concerne que les prises de positions sur la morale et la foi, lorsque le pape s’adresse « ex cathedra ». La question de savoir si tel ou tel propos du souverain pontife est soumis au dogme de l’infaillibilité reste depuis son origine du XIXe siècle une source de controverses brûlantes chez les catholiques.

[2n] Principe directeur de nombreuses philosophies antiques. L’ataraxie désigne la quiétude et la paix de l’âme comme conséquence finale recherchée de la juste pratique de la philosophie.

[3n] Critique Positive par le SOCLE de la Cité de Dieu disponible en ligne [24].

 

 

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