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Le Prince, de Nicolas Machiavel

   « Il Principe »  (Le Prince), de Niccolo Machiavelli, marque en 1532 la naissance d'une science politique européenne, distincte de la philosophie et de l'Histoire. Machiavélisme et anti-machiavélisme n'ont depuis cessé d'agiter les débats.

Toute réflexion politique quant à l'avenir de notre civilisation doit s'appuyer sur les fondements de la Tradition européenne. Concernant l’œuvre de Machiavel, pourtant fondatrice, il est courant de l'approuver ou de la condamner sans même la connaître réellement. L'histoire tourmentée de cet ouvrage est sans doute une conséquence de sa mise à l'index par le pape Paul IV en 1559, interdisant à tout catholique de l'imprimer ou de le lire. Cette critique positive a donc pour but de résumer le contenu réel de ce traité, et d'en étudier la pertinence dans notre siècle, comme l'ont fait avant nous Olivier Cromwell, Frédéric le Grand, Napoléon Bonaparte, Joseph Staline, et Benito Mussolini. Les catholiques n'auront donc pas à passer outre l'interdit papal, et pourront comme les autres, aussi peu machiavéliques qu'ils soient, s'interroger sur les dures réalités de la conquête et de l'exercice du pouvoir.

« La politique a ses propres règles, qui ne sont pas celles de l'éthique », disait Dominique Venner. Ce constat lucide l'avait conduit à la posture d'historien méditatif, préférant laisser à d'autres le rôle de combattant politique. Chaque Européen attaché à notre Tradition devrait à son tour procéder à son examen de conscience, et, appliquant le précepte socratique du « connais-toi toi-même », trouver sa manière de s'engager, qu'elle soit culturelle, politique, ou économique. Nous espérons que cette contribution saura vous aider à faire un choix éclairé, et vous permettre de juger avec un peu plus de recul les stratégies adoptées par les responsables politiques (qu'ils se revendiquent ou non de la Tradition européenne, et que cette revendication soit leur fin ou leur moyen).

 

Par Hans Abgrall, pour le SOCLE

La critique positive du Prince au format .pdf

 

 

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Introduction

 

  Ce qui caractérise la science politique, contrairement à la philosophie politique, est de raisonner en fonction des circonstances. Elle cherche à savoir quels moyens permettent de prendre et de conserver le pouvoir, plutôt que de chercher à définir le but qu’un gouvernement doit poursuivre ou de lui prescrire des règles morales. La science politique est donc en perpétuelle évolution. Pourtant, Le Prince de Machiavel garde toute son actualité, peut-être même encore davantage qu’au cours des siècles qui nous séparent de celui où il fut écrit. Pourquoi ? Parce que ce court traité, lu en quelques heures, a été écrit dans une situation similaire à la nôtre.

Nicolas Machiavel, qui a occupé des fonctions diplomatiques dans la république de Florence, était un fervent patriote italien qui a tenté de remédier à l’état désastreux de sa nation : divisée en plusieurs petites principautés rivales dont la souveraineté n’existait que sur le papier, la péninsule italienne constituait au XVIe s. un terrain de jeu pour les grandes puissances voisines (France, Saint-Empire, Aragon). Ayant voyagé à travers l’Europe et ayant donc eu un aperçu des intrigues de cour, Machiavel entreprend de s’appuyer sur son expérience personnelle et sur l’Histoire pour conseiller Laurent de Médicis, nouvel homme fort de Florence. Il lui donne en quelque sorte un manuel pratique pour unifier l’Italie, afin d’en faire une puissance à part entière dans le concert des nations. Le parallèle est flagrant avec l’état de notre civilisation européenne, brillante mais déchirée en petits États incapables de s’opposer aux intérêts des grandes puissances du XXIe s.

Le but de cette critique positive est donc, pour ceux qui souhaitent œuvrer à la renaissance politique de notre civilisation, de tirer du Prince une meilleure compréhension de  l’action politique, et donc de décider s’ils souhaitent s’y engager ou œuvrer d’une autre manière (culturelle, économique, religieuse, …). La première partie traitera des différentes formes de gouvernements, étudiées selon l’angle de la science politique par Machiavel et remises en perspectives avec des exemples de notre époque. La deuxième partie traitera des différentes manières de gouverner, et donc pour un citoyen de comprendre et de soutenir (ou non) les actions de ceux qui cherchent à prendre ou conserver le pouvoir.

 

I. Les différents types d’États

 

  Puisque le but de ce traité est d'exposer les manières de prendre et de conserver le pouvoir, Machiavel commence par décrire les différentes formes d’États auxquelles un prince peut avoir à faire, que ce soit pour les diriger ou pour les combattre. Il expose d'abord les caractéristiques fondamentales des principautés et des républiques, puis les cas particuliers qui peuvent se présenter, et enfin les conditions qui permettent le maintien d'un État souverain quel que soit son type.

 

a) Principautés et républiques, ainsi que leurs principales variantes

  Une principauté est un État dont le prince est souverain à vie, tandis que le prince d'une république est choisi périodiquement par des électeurs. Cependant, une principauté peut être despotique ou aristocratique ; et on peut acquérir le pouvoir en république en étant soutenu soit par les grands, soit par le peuple. Ces quatre possibilités recoupent grossièrement les six modes de gouvernement selon Aristote, la différence étant que Machiavel ne cherche pas à théoriser des formes parfaites (ou des variantes dégradées de celles-ci) mais se contente d'observer les différents régimes ayant existé depuis les débuts de l'Histoire européenne.

 

Les principautés despotiques sont gouvernées par « un prince et des esclaves, qui ne l’aident à gouverner, comme ministres, que par une grâce et une concession qu’il veut bien leur faire ». Chez Aristote, elles s'apparentent à un mélange entre la monarchie et sa forme dégradée, la tyrannie. Elles sont « difficiles à conquérir, mais faciles à conserver » : l'envahisseur ne peut pas compter sur le soutien des barons locaux mécontents, mais nul ne songera à se révolter une fois le despote vaincu. La succession est également moins stable, puisqu'elle ne s'appuie pas sur une coutume respectée. Les exemples cités sont surtout orientaux : empire perse, empire ottoman, et semblent donc peu adaptés à l'âme européenne (des monarchies absolues sont bien apparues plus tard en France, en Angleterre, ou en Russie, mais l'honnêteté intellectuelle oblige à constater qu'elles ont en général connu une fin cruelle).

Les principautés aristocratiques sont, au contraire, gouvernées par « un prince et des barons, qui tiennent leur rang non de la faveur du souverain, mais de l’ancienneté de leur race ; qui ont des États et des sujets qui leur appartiennent et les reconnaissent pour seigneurs, et qui ont pour eux une affection naturelle ». Chez Aristote, elles s'apparentent à un mélange entre la monarchie et l'aristocratie, c'est-à-dire entre deux formes parfaites, et c'est donc le mode de gouvernement qu'on pourrait considérer comme étant le plus vertueux selon la philosophie européenne classique. Ces principautés aristocratiques sont aisées à conquérir, grâce aux rivalités inévitables entre grands du royaume, sur lesquelles l'envahisseur peut jouer. Cependant, elles sont difficiles à conserver, car le peuple, attaché à ses traditions et aux grandes lignées qui sont comme en symbiose avec lui, se soulève avec violence et récurrence contre les étrangers. Les exemples cités sont typiquement européens, et semblent donc naturellement adaptés à notre civilisation. Machiavel nous prévient cependant de leurs grandes faiblesses : elles sont faibles car désunies (d'où le recul progressif de la féodalité en Europe, amorcé dès le XIIIe siècle), et elles tirent leur seule force d'une multitude de nobles lignées, qui sont légitimées par leur enracinement long et ininterrompu dans un fief. La restauration en Europe d'un régime de ce type s'annonce donc comme une entreprise fort périlleuse.

 

  Les États qui ne sont pas des principautés sont des républiques. Si Machiavel est plutôt favorable à un mode de gouvernement républicain, il se refuse à en faire l'éloge et préfère présenter objectivement ses avantages et ses défauts. Une république est difficile à envahir, et difficile à garder, car il est possible en temps de guerre de remplacer un prince malhabile dans les affaires militaires par un autre qui conviendra mieux. De plus, le peuple est affectivement mobilisé par sa participation à la vie politique, et combattra d'autant plus fermement : il faut une longue période de gouvernement princier ou étranger, supérieure à la durée des gouvernements républicains successifs, pour éteindre le sentiment national et la passion républicaine. Les seules solutions pour évacuer plus rapidement le risque de révolte sont le massacre, la déportation, ou l'établissement de nombreuses colonies de peuplement étrangères. On voit donc que Machiavel avait déjà mis au jour une des failles du républicanisme : le pouvoir étant détenu par le peuple, remplacer le peuple (en jouant sur sa démographie, et en important massivement des populations à forte natalité qui soient habituées au despotisme) permet de détenir le pouvoir.

 

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Le pouvoir peut être acquis en république en étant soutenu par les grands : c'est ce qui est le plus simple, puisqu'ils détiennent le plus d'influence. Le problème est justement qu'ils ne cesseront pas de s'immiscer dans les décisions du prince, et chercheront même à le renverser s'il s'oppose à leurs intérêts. De plus, les grands ont tendance à former des factions dont le but est de posséder toujours plus, soit au détriment du peuple qui sera encore plus opprimé, soit au détriment d'une autre faction qui fomentera alors un complot. Le prince est fatalement davantage marionnette qu'arbitre. Selon la classification aristotélicienne, c'est une forme intermédiaire entre l'oligarchie (forme imparfaite d'aristocratie) et la démocratie. Machiavel lui reconnaît comme seul avantage de servir les intérêts immédiats d'un prétendant ambitieux, mais note qu'il est possible de s'appuyer ensuite sur le peuple pour gouverner, bien que la transition soit risquée.

Il est plus difficile, mais plus sûr, de parvenir à prendre la tête d'une république en étant soutenu par le peuple. On a là un intermédiaire entre ce qu'Aristote nomme une démocratie et sa forme dégradée, l'ochlocratie (« règne de la foule » en tant que masse désordonnée). Le pouvoir est simple à conserver, puisqu'il suffit d'empêcher les grands d'opprimer le peuple pour que celui-ci continue de soutenir le prince qu'il s'est choisi. Machiavel est donc ce qu'on peut considérer comme un « populiste ». Toutefois, restant adepte du réalisme, il considère qu'il faut prendre garde à ce que les conditions soient réunies pour adopter cette stratégie de prise du pouvoir, c'est-à-dire qu'il doit exister un peuple qui soit uni par un fort sentiment national, habitué à participer à la vie politique, et assez puissant pour faire face aux grands sans que ceux-ci ne lui fassent perdre de vue ses intérêts, en semant la division ou en jouant sur leurs craintes. En France, nous avons pu constater lors des élections présidentielles de 2017 que de tels critères n'étaient pas remplis. Le seront-ils un jour ? Ceux  qui adopteront la stratégie populiste devront sans relâche se battre pour y remédier.

 

b) Cas particuliers : principautés mixtes, théocraties, nouvelles institutions

  La réalité étant toujours plus complexe que la théorie, Machiavel adjoint aux grandes formes de gouvernement précédemment décrites une série de cas particuliers. Le premier cas est celui de principautés mixtes, où un prince conquiert un autre peuple (on parlerait aujourd'hui d’États multinationaux). Le deuxième cas est celui des théocraties, qu'on a tendance à négliger mais qui ont connu leur heure de gloire et peuvent être appelés à resurgir. Le troisième cas est celui d'institutions nouvelles, quel que soit leur type, ce qui intéressera tout lecteur insatisfait des démocraties représentatives dominant actuellement l'Europe.

Machiavel, lorsqu'il aborde le cas des principautés mixtes, ne considère jamais que ces États multinationaux puissent être des républiques. En effet, si une république est basée sur la souveraineté populaire, il ne peut décemment imaginer qu'un peuple puisse vouloir se soumettre à un autre, ou accepter sur son sol une masse significative d'étrangers. On mesure là toute la distance entre un républicain du XVIe siècle et ceux qui se définissent comme tels cinq siècles plus tard. Pour ce qui est du rapprochement politique entre pays européens, on ne peut toutefois entièrement considérer qu'il s'agit là de peuples étrangers, et on se rapportera plutôt aux propos de Machiavel sur son projet d'unification de l'Italie.

En tout cas, nous dit-il, lorsqu'un prince souhaite pacifier un pays nouvellement conquis, il lui faut favoriser les petites et moyennes puissances (qu'il s'agisse de groupes sociaux, ethniques, religieux, …) pour briser le pouvoir des groupes qui dominaient précédemment le pays. On remarquera une ressemblance flagrante avec la stratégie électorale en vogue chez les partis de la gauche morale, qui est de délaisser l'électorat ouvrier « de souche » pour jouer avant tout la carte de l'hyperclasse mondialisée et des minorités en tout genre (femmes, homosexuels, immigrés, musulmans). De plus, lorsqu'un prince souhaite recourir à des colonies de peuplement pour briser l'unité nationale et empêcher les révoltes, il lui faut choisir avec soin des territoires-clés, en exproprier une part des locaux, et s'acharner sur eux pour qu'ils n'aient pas la possibilité de lancer une révolte générale. Les autres autochtones du pays doivent être cajolés et désinformés, de manière à ce qu'ils n'imaginent pas que cela puisse leur arriver. C'est là que les « zones urbaines sensibles » prennent tout leur sens, de la même manière que la calomnie médiatique à l'encontre des autochtones qui refusent de subir les conséquences de la mondialisation et de l'immigration de masse (déclin du service public, insécurité culturelle, violence, chômage).

Le plus grand secours, pour un pays ainsi tombé sous le joug d'une puissance étrangère ayant déjà bien entamé cette œuvre de division, est d'être dans l'aire d'influence d'une autre puissance qui soit de taille comparable à celle qui le domine. On peut aisément, en l'an de grâce 2017, penser à la Russie de Poutine, qui s'oppose à l'influence atlantiste en Europe. Si c'est là un espoir, Machiavel nous met pourtant en garde, car une telle intervention n'est jamais faite par pure charité, et viendrait probablement remplacer l'influence atlantiste par l'influence russe. Chacun fera son choix en âme et conscience, en gardant en mémoire que le système poutinien est peut-être plus proche de la principauté despotique que de la république populiste.

 

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  Passons à présent au deuxième cas particulier, celui des théocraties. Elles peuvent sembler terriblement archaïques, surtout aux yeux d’un libre-penseur comme Machiavel ; mais il leur trouve au contraire de nombreux avantages. Il n'est guère difficile de conserver le pouvoir une fois acquis, car on a alors pour soi la légitimité divine et la longue tradition. Il faut seulement veiller, pour le bien de l’État, à ce que les aînés spirituels en charge de l'élection du successeur ne soient points divisés en partis rivaux ou soumis aux intérêts d’autres pouvoirs temporels. Une théocratie bien dirigée est donc une forme de gouvernement potentiellement efficace : on en a d’ailleurs eu la preuve avec les succès fulgurants remportés par l’État Islamique, jusqu’à ce qu’il ait à affronter simultanément plusieurs forces locales soutenues par des grandes puissances extérieures. Ceci étant, il nous faut surtout prendre garde à ne pas sous-estimer le potentiel de cohésion d’une théocratie, en particulier islamique, dans la mesure  où il semble difficile à court terme d’imaginer mettre en place une théocratie en Europe.

Cela nous amène donc au troisième point particulier : « il n’y a point d’entreprise plus difficile à conduire, plus incertaine quant au succès, et plus dangereuse que celle d’introduire de nouvelles institutions ». Cela est dû au fait que le soutien pour la mise en place de ces innovations est généralement plus incertain, car les conservateurs ont pour eux toute l’inertie politique des masses, qui ne sont généralement convaincues que par l'expérience.  Le parti des innovateurs, pour s'assurer du succès, doit donc dépendre de ses propres forces, et non de groupes annexes (populace, groupes d'intérêts « alliés », puissances étrangères) qui pourraient faire défection. C’est donc autant un espoir pour ceux qui s’opposent à l’Europe de Bruxelles qu’un danger pour ceux qui souhaitent bâtir un véritable État Européen.

Les souverainistes y verront une fenêtre de tir, mais Machiavel tient à ajouter, pour conclure ce chapitre sur les institutions, que « en parlant des diverses sortes de principautés, il y a encore une autre chose à considérer : c’est de savoir si le prince a un État assez puissant pour pouvoir, au besoin se défendre par lui-même, ou s’il se trouve toujours dans la nécessité d’être défendu par un autre. » Il considère comme « capables de se défendre par eux-mêmes les princes qui ont assez d’hommes et assez d’argent à leur disposition pour former une armée complète et livrer bataille à quiconque viendrait les attaquer ; et au contraire, je regarde comme ayant toujours besoin du secours d’autrui ceux qui n’ont point les moyens de se mettre en campagne contre l’ennemi ». En clair, un État-nation qui n’est pas capable d’avoir de bonnes chances de gagner une guerre face à une superpuissance (Etats-Unis, Chine) ne constitue pas un État réellement souverain selon Machiavel, mais un vassal non-officiel de la grande puissance sur laquelle il compte pour sa protection. Il n’y a donc, clairement, pas de souveraineté sans puissance.

 

II. Les différentes manières de gouverner

 

  Cette partie est séparé en deux axes. Le premier traite des dilemmes moraux et des manières dont il faut y répondre selon les circonstances ; le second donne des recommandations générales au prince qui veut user de son pouvoir pour restaurer la grandeur de sa civilisation.

 

a) Dilemmes moraux et réponses circonstanciées

 

Des cruautés et des bienfaits :

  Les cruautés doivent êtres faites toutes en même temps, en début de règne, pour asseoir son pouvoir, et surtout décroître avec le temps. Les bienfaits, eux, doivent se succéder lentement, si possible en augmentant légèrement, ou en tout cas sans diminuer de régime. De plus, « les hommes doivent être ou caressés ou écrasés : ils se vengent des injures légères ; ils ne le peuvent quand elles sont très-grandes ; d’où il suit que, quand il s’agit d’offenser un homme, il faut le faire de telle manière qu’on ne puisse redouter sa vengeance. »

 

De la libéralité et de l’avarice :

  La réputation de libéralité est bonne pour acquérir le pouvoir, mais une fois au pouvoir il vaut mieux être avare. En effet, la générosité du prince est toujours basée sur des fonds publics, et un cadeau fait ainsi ne réjouira jamais autant ses bénéficiaires qu'il contrariera ceux qui auront été prélevés. De plus, les gens s'habituent toujours à recevoir, jamais à être imposés : le bénéfice d'opinion est donc rapidement perdu.

 

De la cruauté et de la clémence :

  Il n'est guère possible d'être à la fois aimé et craint. Régner en se basant sur l'amour de ses sujets, c'est s'exposer à de rapides revers, car leur cœur est toujours inconstant, surtout dans la difficulté. Au contraire, si on règne par la crainte, on dispose d'un moyen durable et fiable de se faire obéir. Il faut toutefois prendre garde à ne pas être méprisé ou haï.

Pour éviter d'être méprisé, il convient de se tenir inflexiblement à ses décisions, et de les prendre avec parcimonie. Pour ne pas être haï, il faut que les actes de cruauté trop importante soient délégués à d'autres personnes, ou mieux encore, à des institutions « indépendantes ». Sinon, il vaut mieux user de sa sévérité sur un petit nombre de gens qui gênent la majorité.

 

De la fidélité et de la fourberie  :

  « Celui qui veut en tout et partout se montrer homme de bien ne peut manquer de périr au milieu de tant de méchants. Il faut donc qu’un prince qui veut se maintenir apprenne à ne pas être toujours bon, et en user bien ou mal, selon la nécessité. [...] A bien examiner les choses, on trouve que, comme il y a certaines qualités qui semblent être des vertus et qui feraient la ruine du prince, de même il en est d’autres qui paraissent être des vices, et dont peuvent résulter néanmoins sa conservation et son bien-être. »

Le prince doit posséder et apprivoiser une double nature : celle d'homme et celle de bête. Autant que possible, il doit agir comme homme de bien, et surtout en donner l'apparence par ses discours et ses apparitions publiques. De toutes les qualités de l'homme de bien, la plus recherchée par le peuple est celle de la ferveur religieuse. Les autres, bien qu'accessoires, restent bénéfiques. Mais ce qui importe surtout, c'est que le prince ait la sagesse d'agir de manière contraire à la morale chaque fois que la raison d’État l'exige, et si possible de manière discrète. Car celui qui gouverne justement doit, pour continuer à faire le bien, se maintenir contre ses rivaux, qui une fois au pouvoir agiraient encore plus mal que lui (ou précipiteraient tout l’État à la ruine par leur moralité excessive).

 

b) Recommandations générales pour la renaissance de l’Europe

 

Sur la réputation du prince :

  La meilleure forteresse qu’un prince puisse avoir est l’affection de ses peuples : s’il est haï, toutes les forteresses qu’il pourra avoir ne le sauveront pas ; car si ses peuples prennent une fois les armes, ils trouveront toujours des étrangers pour les soutenir. Diviser pour régner, à l'intérieur de son État, est rarement utile, car en temps de guerre un pays désuni est facile à vaincre.

Il faut faire de la propagande sur sa personne par quelques décisions anecdotiques mais grandioses de générosité, de fermeté, etc. Les guerres, surtout si elles sont parées du prétexte de la religion, sont d'excellentes occasions de se créer une bonne renommée. Il est vital pour le prince de bien comprendre l'art de la guerre, pour être respecté à la fois par son peuple et par ses généraux. Pour cela, il doit s'exercer le corps (par la chasse, qui l'endurcit et l'entraîne à juger du terrain) et l'esprit (par l'étude des généraux du passé). L’Histoire sert à étudier la situation à l’échelle du temps long, et donc d’agir préventivement pour neutraliser des menaces mortelles qui peuvent devenir insolubles si elles ne sont pas contrées à temps.

Il faut éviter de rester neutre entre deux partis, extérieurs ou intérieurs, qui soient ou aussi puissants, ou moins puissants que soi. S'ils sont aussi puissants, le vainqueur absorbera le perdant et constituera une menace d'autant plus forte qu'il en voudra au prince d'être resté neutre. S'ils sont moins puissants, cela fait une occasion d'éliminer un des deux partis : le second aura une bonne opinion du prince, et pourra d'autant plus facilement être utilisé ou éliminé à une autre occasion.

 

Des ministres et conseillers :

  Le ministre doit être intelligent et fidèle, mais il vaut mieux qu'il soit fidèle avant tout, car sinon il travaille fatalement à la ruine du prince. Il doit être convaincu qu'il ne doit le maintien de sa position qu'au bon vouloir du prince, et doit vivre presque aussi richement que celui-ci, mais ne pas être trop aimé du peuple.

Il faut trouver un équilibre entre le fait d'écouter les conseils et celui de faire taire les critiques pour conserver son prestige. Le meilleur compromis consiste à sélectionner une poignée d'hommes sages et dévoués, et de s'entretenir avec eux en privé, à intervalle régulier, sur le sujet où ils sont compétents, en leur laissant totale liberté de parole. Dans toute autre occasion, réprimer fermement toute critique ou même tout conseil bienveillant d'un particulier qui voudrait influencer les affaires de l’État.

 

Exhortation à délivrer l'Europe des barbares :

  Le fameux « homme providentiel » est favorisé par la dureté des temps. Tous les Européens attachés à leur patrie sont prêts à se ranger sous le premier étendard venu. Cependant, la désunion est un mal énorme, qui fait que les Européens restent divisés même lorsqu'ils se soulèvent. Ceux qui feraient d'excellents lieutenants commandent bien, mais obéissent mal.

La ruine de l'Europe est certes venue de la désunion et des ambitions multiples, mais surtout du fait que les anciennes institutions étaient corrompues et inadaptées. L'unité européenne demandera de nouvelles institutions, qui seront sources de gloire pour le réunificateur de la patrie. Le premier pas vers l'unification européenne est que, parmi les États authentiquement européens restants, se constitue une légion européenne, annoncée explicitement comme telle, et sans éléments étrangers.

 

Conclusion

 

  Cet ouvrage d’initiation  à la science politique nous permet de tirer un certain nombre de leçons de base pour ceux qui souhaitent œuvrer à la renaissance de notre civilisation européenne.

Tout d’abord, si l’aristocratie semble la plus conforme à l’idée européenne d’un gouvernement vertueux, la mise en place d’une forme de gouvernement doit d’abord répondre aux circonstances du moment, sous peine d’échouer lamentablement. Ensuite, quelle que soit l’option choisie, et son échelle (« patries charnelles », « France seule », « Europe des nations », « État Européen ») il faut garder à l’esprit que toute entité politique incapable de s’opposer militairement aux États-Unis ou à la Chine n’est pas véritablement souveraine, mais dépendante du bon vouloir de son protecteur.

Une fois le projet politique formulé, le mettre en application de manière efficace suppose de pouvoir s’affranchir de la morale commune, tout en maintenant les apparences de celle-ci pour remporter l’adhésion populaire. L’unité dans les rangs est une condition indispensable à l’action : il y a autant, sinon davantage, besoin de supérieurs sachant commander que de subordonnés sachant obéir.

Nombreux, sans doute, sont ceux qui ont à cœur de faire renaître notre civilisation, mais ne se sentent pas prêts à s’engager pleinement dans le combat politique en respectant les règles qui lui sont propre. Il vaut mieux alors, plutôt que d’être un facteur de division et d’amateurisme, se concentrer sur d’autres combats métapolitiques, qui ont eux aussi besoin de bonnes volontés et de talents : le terrain culturel, économique, religieux, est aussi à reconquérir par de nouvelles initiatives.

 

 

Pour le SOCLE :

 

  • Chaque régime politique a ses avantages et ses inconvénients, selon les circonstances

 

  • La souveraineté sans le statut de puissance mondiale est une vassalité cachée. Compter sur l’aide d’une grande puissance pour qu’elle tienne une autre à distance, c’est accepter que notre nation devienne un satellite de son « sauveur ».

 

  • Exercer le pouvoir efficacement, c’est savoir outrepasser la morale commune tout en ayant l’air de la respecter.

 

  • La renaissance de notre civilisation ne se fera pas sans union militaire des Européens derrière un commandement unique.

 

  • Ceux qui ne souhaitent pas respecter la discipline qu’exige le combat politique doivent s’engager dans des combats métapolitiques.

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