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Pourquoi je serais plutôt aristocrate, de Vladimir Volkoff

Vladimir Volkoff est un écrivain français d'origine russe qui a officié en France durant la seconde moitié du vingtième siècle jusqu'à sa mort, en 2005. Le grand public le connait essentiellement pour ses romans fantastiques et policiers, dont certains lui ont valu le prix Jules-Verne en 63, le Grand Prix du roman de l'Académie française en 82, et le Grand Prix Jean Giono en 1995 : une bien belle carrière. Mais avec Volkoff, patronyme signifiant littéralement « fils de loup », il faut se figurer un bonhomme un peu excentrique, qui écrivait sous des pseudonymes comme Lieutenant X et Rholf Barbare, et fréquentait assidûment les cercles royalistes. C’est cette affinité qui a placé l’auteur de ces lignes dans son sillage, plus exactement les fréquentes références dont il bénéficie dans les ouvrages sur le royalisme – vous trouverez par exemple des citations de lui dans nos critiques positives du Royalisme en questions, d'Yves-Marie Adeline, et de La Monarchie Aujourd'hui, de Pierre Pujo. Car sur ce terrain, l'homme n’était pas un indécis, mais un royaliste convaincu. Sa famille, d'origine tatare, servit les Tsars d'Ivan le Terrible jusqu'au dernier. Disons sobrement que ça forge.

 

Félix Croissant, pour le SOCLE

La critique positive de Pourquoi je serais plutôt aristocrate au format .pdf

 

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L’homme a écrit, en 2004, un essai à teneur politique intitulé Pourquoi je serais plutôt aristocrate. Un des grands débats qui ont présidé à la création du Socle avait pour sujet l’aristocratie. Tout nous invitait à aborder cet essai. Seulement, ce dernier est une suite directe d’un autre essai de Volkoff, datant de 2002, qui s’intitulait quant à lui… Pourquoi je suis moyennement démocrate. Un titre à l’esprit négatif en légère inadéquation avec le principe de critique positive de notre groupe. La complémentarité des deux essais nous a ainsi dissuadés d’aborder le second durant des années. C’était une belle erreur, tant sa critique de la démocratie n’était qu’une préparation à son éloge de l’aristocratie. Et une préparation bien divertissante.

 

La démocratie, si seulement…

 

Volkoff, réputé pour son fort caractère et son anticonformisme face au rouleau-compresseur de la modernité, n'était pas amateur de salamalecs. Il assume, dès son entrée en matière, de « tailler » la démocratie par seul esprit de contradiction, pour le seul plaisir de faire chouiner ceux qu'il appelle les « béni-oui-oui ». Naturellement, ce n’est qu’une provocation. Une véritable substance sous-tend son discours, qui arrive à point nommé en des temps dépressifs où les perversions du système sont visibles jusque sur nos écrans – « si la démocratie est affaire d'opinion, les mass medias démocratiques ont rendu toute velléité de démocratie impossible ».

 

Dans un premier temps, il a l’élégance de reconnaitre à la démocratie ses bonnes intentions. En tant que mode de désignation des gouvernants, elle n’a pas connu QUE des échecs au fil de l'histoire. Si l'on s'intéresse exclusivement à l'idée d'acquiescement des gouvernés, elle l'emporte sans difficultés sur les autres modèles. Seulement, en réponse au premier point, la démocratie moderne dépasse largement le simple mode de désignation : le sens du mot a changé au fil du temps, et nous sommes passés d'une forme de gouvernement à une doctrine, avant de l'associer à rien de moins que nos sacrosaintes liberté et égalité. Et en réponse au second point, il est intellectuellement légitime de s'interroger sur l'importance de cette idée d'acquiescement des gouvernés. Autant de réflexions auxquelles les jeunes Occidentaux ne sont pas vraiment invités.

 

Volkoff se demande à partir de quand on peut prêter un « visage collectif » à un groupe de personne qualifié de « peuple ». La notion de peuple, tour à tour la nation et la plèbe, ne lui parait pas suffisamment bien définie pour donner envie d'asseoir dessus un système entier de gouvernement. Pour tomber dans le panneau, il faut y croire. TROP y croire. Il voit dans la démocratie une religion, dont elle a déjà la qualité première, la prétention de détenir la vérité. Mais surtout, il y voit une religion sans transcendance, puisque sa Bible, les Droits de l’Homme, sont par définition anthropocentriques, l'homme en est l'horizon indépassable. L’homme a tous les droits, sur lui-même comme sur le monde, et donc sur les autres, ce qui laisse Volkoff plutôt sceptique. « On comprend, écrit-il, que le Patagon ait des droits qui lui sont garantis par ses chefs patagons [le droit positif] (…), mais que l'homme ait des droits dans l'absolu qu'il se garantit lui-même à lui-même (…) est un gigantesque canular. » La déclaration de 1789 prétend que le but de la société est le bonheur commun. Que l'on nous définisse ce bonheur commun ! Que la loi est l'expression de la volonté générale. Dont on attend encore la preuve de l’existence ! Que tous les hommes sont égaux par nature. Un trait d’humour qu’on aura étiré jusqu’au claquage ! La déclaration universelle de 1948 stipule que « tous les êtres humains doivent agir les uns avec les autres dans un esprit de fraternité ». L’auteur s’en amuse : « doivent » ! S'agit-il d'un droit, ou d'un ordre ? Pour finir, on confond trop souvent, a dessein, la majorité et le consensus, qui sont deux choses parfaitement distinctes. La première ne ressemble à rien puisqu'elle peut constituer 50,00001% ; et la seconde est, à l'échelle d'un pays, parfaitement utopique.

 

La démocratie libérale, dans son glorieux flou artistique, repose sur ce que Volkoff nomme le « vertige du nombre », puisque sur la quantité des votants et non leur qualité. Un individu quelconque en vaut un autre. George Duchêne, en 1871, écrivait : « La vérité, la loi, le droit, la justice dépendraient de quarante croupions qui se lèvent contre vingt-deux qui restent assis ! ». Si l'ensemble des individus avaient une compétence et une connaissance égale, cela marcherait. Réduire la question à un « problème d'arithmétique », comme disait le grand Edmund Burke, serait acceptable. En l’état ? Non. Pour nous faire avaler cette couleuvre, le tout devait reposer sur un mythe, et la démocratie s’est choisi celui de l'égalité – donnant raison à Montesquieu lorsqu’il associait intimement l’amour des deux. Pour un aristocrate comme Volkoff, « cette morne plaine où 1=1=1=1 à l'infini » ne peut avoir quoi que ce soit de séduisant. Elle nous place aux antipodes de la nature. Il prend pour exemple le règne animal, de la meute au poulailler : pas de suffrage universel. D'aucuns rappelleront (sauf les spécistes, peut-être ?) que l'homme doit faire MIEUX que l'animal. Bien sûr. Mais tenons-nous-en à l'expérience du réel, les sociétés humaines n'ont jamais eu qu'une manière d'empêcher la formation naturelle d'une aristocratie : une législation « fondée sur un idéal abstrait, souvent démenti par les faits ». Les « faits ». Volkoff ne connait « pas de grande affaire industrielle ou commerciale qui se gouverne démocratiquement », ni n'a jamais « entendu de chef d'orchestre consulter la grosse caisse ou même le premier violon sur l'interprétation d'une symphonie », ni « un chef de cuisine se plier à l'opinion majoritaire de ses marmitons pour la confection d'une sauce ». Dans ces domaines, « l’idéal abstrait » ferait de sérieux dégâts.

 

On veut nous faire croit que nous n'avons que deux choix : la démocratie ou le totalitarisme. La liberté ou l’asservissement. La lumière ou les ténèbres. Une subtilité à la hauteur de nos cousins américains, qui pensent avoir accouché de la constitution idéale. Volkoff, en vrai conservateur, avait bien des critiques à faire à ce sujet. Dans son essai, il trouve une occasion de moquer la fameuse citation de Churchill, « la démocratie est le pire des régimes excepté tous les autres », selon lui une « boutade drôlette qui ne signifie littéralement rien ». Comme tous les règne, celui de la modernité repose sur une part de mensonge, la sienne étant peut-être la plus remarquable. Volkoff rappelle que la monarchie héréditaire n'était pas un mode de choix du gouvernant, mais plutôt un moyen d'éviter d'avoir à choisir le gouvernant, et donc d'éviter le chaos. Il rappelle que les citoyens Grecs, sous la tyrannie, continuaient de désigner près d'un millier de leurs magistrats par le sort, donnant au moins une chance à la compétence et à la vertu. La vertu, norme de l'aristocratie, selon Aristote. Il est d’autres choix que ceux de la démocratie et de la servitude. Celui, par exemple, de l'aristocratie, qui est l’antonyme véritable de la démocratie, et non la tyrannie, ou la dictature. Le mot a simplement été expurgé de son sens au profit d'une définition erronée la réduisant à une classe de privilégiés, et remplacé par l'épouvantail fasciste pour des raisons sournoisement politiques. Pour Volkoff, il est temps de réhabiliter ce glorieux antonyme. La vertu, cette notion désuète à notre époque saturée de moraline, pourrait nous y aider…

 

L’évidence de l’aristocratie

 

Poursuivons la « réinformation ». Cent ans de dictionnaires, du petit Larousse au Grand Robert, se sont escrimés à tordre le sens réel du mot aristocratie. Ils insistent par exemple souvent sur le principe d'hérédité, qui est pourtant parfaitement dissociable de l'aristocratie. Ils invoquent le « petit nombre » et en font une lecture à côté de la plaque qui a plus à voir avec l'oligarchie : quand une société place les meilleurs à son sommet, sont-ils censés être la majorité ? Le verbe krateô signifie « être fort », d'où « dominer », et le substantif kratos signifie « force, puissance souveraine ». Le substantif aristos se traduit avant tout par « de bonne race », puis par « brave », puis par « bon », au sens de réussi, puis enfin par « bienveillant » au sens religieux. Le verbe aristeô signifiait « exceller », insistant sur l'idée de qualité, puis d'un MAXIMUM de qualité, puis, au final, de plus de qualité que les autres. L’idée fondamentale de comparaison fait son apparition. Platon donnait au mot aristokratia le sens de « gouvernement idéal des meilleurs citoyens, c'est-à-dire des plus honnêtes ». Nous revenons à la vertu. L’aristocratie autant une philosophie qu'un gouvernement.

 

Les meilleurs. En comparaison des… moins bons. L'aristocratie est un fait de nature. Quel que soit le jeu auquel deux hommes jouent, la supériorité de l'un sur l'autre finira toujours par s'exprimer, qu'elle soit timide, ou terrassante. Voilà tout ce qu'est l'aristocratie : le pouvoir du ou des meilleurs. « Il serait indéniablement bon, écrit l'auteur, que les meilleurs fussent les plus puissants et les plus puissants les meilleurs ». Qui de censé ne trouve pas logique que chaque activité soit pratiquée par les gens les plus compétents ? Qui appellerait de ses vœux ce que Volkoff nomme la « kakistocratie », pouvoir des pires, si cela existait seulement ? La qualité ne peut guère s'exprimer qu'en termes de supériorité ; le démocrate le déplore, l'aristocrate s'en réjouit, le fait demeure. Et s'il y a supériorité, il y a donc critères, de généalogie, de savoir-vivre, d’excellence académique, de réussite professionnelle. Il n'y a que dans l'univers mental ubuesque des égalitaristes, ces chers « suppléants-kakistocrates », qu’une telle réalité fait scandale.

 

Aristote, que l'auteur cite décidément pas mal, mettait en avant la hiérarchie naturelle du monde. Quel meilleur garant d'un ordre social ? Ce qui est naturel coule de source, et de fait, quiconque étant né pour commander sera heureux en commandant, quiconque étant né pour obéir sera heureux en obéissant. Naturellement, l'homme est un peu plus complexe que la vache qui s'écrase benoitement une fois définie la plus forte du troupeau. Il peut se croire né pour commander, et faire croire à un commandeur naturel qu’il est né pour servir. C'est sans doute pour cela, entre autres, que nous passons notre temps à nous entretuer. Et malgré tout… ça marche. L'aristocratie est un fait de société, y compris la nôtre. Comment une société se dote-t-elle d'ingénieurs, de magistrats, d'administrateurs ? Par voie de concours, B.A.-BA de l’exercice aristocratique. La plupart de nos élites sortent des grandes écoles. Les imposteurs et les intrus existeront toujours, mais tout système a sa part de dysfonctionnements. L’important est que dans l’ensemble, ça marche.

 

Volkoff pousse le bouchon à mi-parcours en suggérant que même la démocratie tend naturellement vers l'aristocratie : lorsqu'elle se borne à être un choix des autorités, ne vise-t-elle pas à choisir les meilleures possibles ? Mais il parle là de la démocratie réelle, originale. Lorsqu'elle devient une doctrine totale, comme ça a été évoqué plus haut, son cerveau s’ouvre sous la pression d’une belle dissonance cognitive : son égalitarisme pathologique, davantage que son universalisme, la rend aussi inepte que toxique. C'est parce qu'elle est « persuadée que le suffrage universel égalitaire est le meilleur mode de choix des meilleurs candidats », s'imaginant mettre la quantité au service de la qualité, qu'elle est vouée à l'échec. L'élite des démocraties libérales est aristocratique, mais la plèbe, elle, est gavée à l'égalité. Ce n'est pas un hasard si la compétition sportive cartonne : elle n'est rien de moins qu'une façon de satisfaire notre besoin plus ou moins inconscient d'aristocratie. L'abus maladif d'égalitarisme démocratique pousse les gens écœurés dans les bras réconfortant des dieux du stade. « Y a-t-il plus aristocratique que le principe de records à battre, et plus indiscutable que cette victoire ? » Dans un monde saturé de déceptions, caractérisé par un vague mais prégnant sentiment de se faire avoir d'une manière ou d'une autre, par les politiques, par les économistes, par les intellectuels, par les commerçants, par les guides spirituels, le sport propose une parenthèse miracle où, écrit l'auteur, « les règles sont absolues, les exploits patents, et la vérité, pour ce qu'elle vaut, éclate ».

 

Note à l’intention des aristocrates en herbe qui attendaient de l’essai un minutieux éloge de l’aristocratie en tant que forme de gouvernement : vous l’aurez compris, quand Volkoff parle d’aristocratie, c’est au sens le plus large et littéral du terme.

 

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(Ci-dessus, une photo des enfants de Nicolas II, dernier empereur de Russie)  

 

L'ordre ou le chaos

 

S’il existe des alternatives à la démocratie et à la tyrannie, l’humanité n’a guère le choix qu’entre l’ordre et le chaos. Le philosophe chrétien Nicolas Berdaiev, maître à penser de Volkoff, a écrit que « seul un amas de décombres n'est pas hiérarchisé ». Tout Pourquoi je serais plutôt aristocrate est une ode à la verticalité. Sans surprise, il loue le rôle de l'armée dans une société, et dresse un portrait un brin exalté de la guerre, « fait de société universel et, en même temps, exercice aristocratique entre tous, puisqu'il fait appel à la notion de qualité dans presque tous les domaines » ; mais ce qu'on appelle l'unité de commandement est un principe auquel n'échappe aucune activité humaine dès lors qu'elle est groupée. Sans son respect, rien ne va plus. De quoi faire hurler les hippies aux cheveux sales, pour qui le chaos est synonyme de liberté, peu importe qu'il en profite dix-huit secondes montre en main avant de se faire massacrer dans le caniveau.

 

Bien des hommes du passé auront donné raison, par leur comportement, aux critiques modernes de l’aristocrate, qui ne voient en lui qu’une créature pleine de vanité et un oppresseur en puissance. Nous l’avons établi, un homme est plus tordu qu’une vache. Volkoff le reconnait… mais il estime ces excès regrettables compensés par le culte de la responsabilité, du service et du sacrifice qui animaient l'aristocrate – et le « gentilhomme », autre mot méconnu désignant un homme noble de naissance mais aussi de sentiments. Le comte de Vigny évoquait le « tribunal d'ancêtres » devant lequel l'aristocrate comparaissait à sa mort. Ce n’était pas que de la com’. Ça dépassait la théorie. Nous n'avions pas affaire à un mégalomane individualiste, mais à un homme qui embrassait l'obéissance aussi naturellement que le commandement. « Le roi, mon maître », disait le marquis de Torcy. La notion de devoir est par conséquent fondamentale chez l'aristocrate, contrairement à celle de droits, qui lui paraissent, pour reprendre les mots de l'auteur, des « coassements dérisoires » et « indignes de lui ». L'histoire de mots comme « noble », « patricien », et « gentilhomme », montrent que certaines vertus de l'âme sont les signes distinctifs d'une certaine classe de la société. La notion de chevalerie est prépondérante, et assez bien résumée par un adage du Moyen Âge : « À Dieu mon âme / Ma vie au roi / Mon cœur aux dames / L'honneur pour moi ». Le chevalier était un homme libre, mais qui ne devenait pleinement lui-même qu'en aliénant sa liberté en s'inféodant à Dieu et à son souverain terrestre. « Peut-être, écrit Volkoff, avons-nous eu tort de laisser se perdre l'idéal chevaleresque au profit de celui des droits de l'homme… ». Gageons que son « peut-être » n’était là que pour la forme. Selon Berdaiev, la chevalerie faisait communier les grandes masses populaires avec le royaume de la dignité et de l'honneur. C'est dans les milieux d'argent, où la qualité se compte davantage qu'elle ne se mesure, que la hiérarchie crée l'envie, et que la supériorité offense. Dans ce monde où « la raison de vivre devient la multiplication de l'avoir plutôt que celle de l'être », et qui absorbe l'humanité entière sous le prétexte du commerce.

 

L’homme moderne a commis le crime d’oublier l'idéal chevaleresque mais aussi l'esprit du mythe, qui est, lui aussi, éminemment aristocratique. Volkoff distingue trois types de grands hommes : le héros, le génie et le saint. Chez les Grecs, le héros se confondait avec les demi-dieux, ascendance vertigineuse qui avait le mérite de faire la nique à l'égalité. Les nobles anglais se sont toujours vantés d'ancêtres qui auraient franchi la Manche avec Guillaume le Conquérant. Le culte du héros est fondamental chez l'homme. Berdaiev disait du génie qu’il relevait, avec le talent, « de l'aristocratie spirituelle parce qu'ils sont gratuits », c’est-à-dire « pas obtenus par le travail ». Qu'est-ce que le génie ? De quoi est-il fait ? De force ou de lucidité, comme l'écrivait Bernanos ? D'intelligence ou de passion ? La reconnaissance d'une supériorité dans la qualité est dans notre ADN. Le « choix de la vivifiante inégalité plutôt que celui de l'égalité létale ». Le saint, quant à lui, est une espèce universelle, et souvent hiérarchisée : l'Église n'en canonise-t-elle pas une grande variété, du martyr aux vierges, en passant par les guerriers ?

 

Le panache plutôt que la noblesse ?

 

Sans nier les connexions historiques et structurelles entre aristocratie et noblesse, la seconde ayant été la principale pourvoyeuse d'hommes de la première, Volkoff s'est attaché, dans son livre, à bien les dissocier. Parce que l'aristocratie n'est pas la noblesse : l'aristocratie est une affaire de qualité, alors que la noblesse, à la base, est surtout affaire d'illustration. Pas question ici de mépriser l'importance de l'illustration : « le chatoiement du blason, le palimpseste des titres, le dédale des généalogies », la « conception initiatique du monde » qui caractérise le noble, Volkoff adhère. Mais il faut s'assurer que les mots ont toujours leur sens. « Noblesse » ? Un roturier peut être le plus ardent partisan d'un système aristocratique, parce qu'il croit au mérite. Les nobles qui ont participé à la nuit du 4 août 1789 croyaient peut-être ne renoncer qu'à des privilèges nobiliaires que plus rien ne justifiait, mais en réalité, : « ils n'[abrogèrent] pas seulement la noblesse (qui n'est qu'accidentelle), mais aussi l'aristocratie (qui est primordiale), ils [mirent] le nombre inerte au-dessus du lien organique, et une relation numérique au-dessus d'une relation fonctionnelle ». Sur la fin, la noblesse était rongée par un poison qui substituait le privilège au mérite. Volkoff trouvait quelque chose d'offensant à ces nobles qui continuèrent de porter les titres octroyés par le roi longtemps après avoir trahi le trône, et méprisait ces cliques de snobinards frappés du syndrome qu'il appelait « J'en suis – vous en êtes – nous sommes supérieurs ». De la noblesse adaptée au logiciel nombriliste et bas de plafond de la modernité, aux antipodes de ce qu'est l'aristocratie, c'est-à-dire non pas une connivence, mais une ascèse. Cet outrage excite, dans son essai, sa verve souvent réjouissante. Il écrit par exemple : « Quand Chateaubriand déclare "démocrate par nature, aristocrate par mœurs, je ferais très volontiers l'abandon de ma fortune et de ma vie au peuple, pourvu que j'eusse peu de rapports avec la foule.", quand Michelet écrit que "toute femme a dans l'esprit des petits besoins d'élégance, d e finesse et d'aristocratie", que Balzac prêt à une de ses héroïnes "une beauté grêle et pour ainsi dire aristocratique", ou qu'Alexandre Dumas remarque la "blancheur aristocratique" de la jambe de la duchesse de Berry, merci pour la beauté grêle et pour les petits besoins, mais je ne crois pas que la véritable aristocratie soit à chercher de ce côté. »

 

L'auteur préfère de toute évidence un plébéien méritocrate à un patricien mou du genou – d'autant plus qu'il reconnait à une famille paysanne la capacité d'« entretenir pendant des siècles la flamme ancestrale de son foyer ». Ce qu'il aime plus que tout, au fond, c'est sans doute le panache. Sur un ami à lui, homme simple à qui il ne manque que des moyens financiers et des « peaux d'âne universitaires », « c'est-à-dire rien », il écrit : « Si l'alarme qui est censée protéger ma maison se met à sonner, fût-ce en pleine nuit, il accourt avec son fusil. Sa femme se moque gentiment de lui parce que c'est un fusil à un coup : "Et s'ils sont plusieurs ?". Mais il ne s'occupe pas de ça. Il arrive avec son fusil à un coup. Un aristocrate, vous dis-je » ! Mais cette manifestation de bon sens ne contredit pas, dans l'esprit de l'auteur, sa foi en l'ordre nobiliaire, ce dernier fût-il un peu obsédé par l'illustration. La noblesse constitue, pour lui, la mémoire de la nation et sa victoire contre la mort. Il cite une énième fois Berdaiev : « La formation sélective des traits nobles du caractère (…) suppose une transmission héréditaire (…). C'est un processus organique. Il en va de même pour la création d'un haut milieu culturel et des traditions de la culture supérieure. Dans la vraie culture, profonde et raffinée, l'on sent toujours la race, le lien du sang avec les traditions ». L’idéal auquel nous devons aspirer nous parait donc le suivant : une société aristocratique dotée d’un ordre nobiliaire… qui ne manquerait jamais de panache.

 

L’univers est aristocratique

 

Volkoff est un remarquable exemple de « mécontemporain », pour reprendre le néologisme dont Alain Finkielkraut qualifiait le grand Charles Péguy. Il faut le lire parler des hommes d'avant, des vrais, ceux-là qui « idéalisaient le devoir » alors que nous « quémandons des droits, qui « croyaient en Dieu et en l'homme », alors que nous nous limitons aux institutions, qui « idolâtraient la conscience professionnelle et la parole donnée » tandis que nous réservons notre confiance aux « contrats »… « Il faut reconnaître, écrit-il, que les peuples évoluent, et que tel d'entre eux qui était illustre pour sa furia dans la guerre n'aspire plus qu'à applaudir du fond de son fauteuil-téloche un vague compatriote (ou rétribué comme tel) qui déplace un ballon avec son pied. » Mais il croit à la résurgence de l'amour-propre d'un peuple. Qui se doit d'être aristocratique. Parce que sans aristocratie, il n'y a pas de société, et sans société, pas de peuple.

 

Le langage est aristocratique, comme le vocabulaire, puisque fondés sur la notion de qualité. Volkoff rappelle très pertinemment que « "mes hommages, madame", ne rend pas le même son que "salut ma grosse", encore qu'ils puissent s'appliquer à la même personne ». Il en est de même pour la grammaire : les degrés des adjectifs qualificatifs, l'accord du participe, le ne explétif qui signifie le contraire de ce qu'il veut dire… la trente et unième lettre de l'alphabet cyrillique, nommée iat' et se prononçant é, dont Nicolas II disait qu'elle ne servait à rien sauf à distinguer les lettrés des illettrés… Aujourd'hui, plus personne ne dit « bonjour, Monsieur » ; on doit se contenter d'un simple « bonjour ». Fort heureusement : qui sait, de nos jours, un homme pourrait mal prendre de ne pas être appelé « madame »…

 

Le christianisme est, aux yeux de Volkoff, lui aussi aristocratique. « La révélation chrétienne sur la qualité infinie de l'âme humaine, sur la valeur égale devant Dieu de toutes les âmes, n'est pas une révélation ni une égalité démocratique. La fraternité chrétienne n'est pas non plus l'égalité démocratique. Dans le christianisme, tout est qualitatif, individuel, unique ; tout est lié à la personne, et donc hiérarchique ». Même le protestant distingue le baptisé du non-baptisé. Les vénérables ne doivent pas être confondus avec les bienheureux, ni les confesseurs avec les martyrs. D'aucuns répondront par le fameux « les premiers seront les derniers, et les derniers les premiers », mais ce dernier point est une vieille arnaque : il ne s'agit pas moins d'une hiérarchie, simplement à rebours de celle communément acceptée, les moins devenant les plus, les plus devenant les moins, la pyramide conservant sa forme parfaite. Tous les Chrétiens ne partageront peut-être pas cette vision, à en juger par le nombre d’aspirants-« kakistocrates » qu’on trouve dans leurs rangs…

 

Pour finir dans le florilège, le couple est, lui aussi, aristocratique. Sans surprise, Volkoff n'était pas exactement un féministe, que l'on se rassure. Dans Pourquoi je serais plutôt aristocrates, il ne manque pas de railler la « belle pantalonnade » qui a donné aux femmes jusqu'aux honneurs de la braguette. Mais ce qu'il écrit au sujet du couple ne correspond pas plus à une conception paléolithique des rapports homme-femme : pour lui, « un sexe qui a produit à la fois Ève la tentatrice et Marie la salvatrice ne peut évidemment être préposé aux seuls fourneaux ». Prenons Christine Angot, ou une militante Femen : il ne faut pas voir en elles des femmes de gauche, mais des gauchistes, dans ce que le terme a d’à la fois plus vague et méprisable, qui se trouvent être de sexe féminin – un raccommodement des genres dont nos sociétés auraient sacrément besoin, actuellement. Volkoff célèbre la dichotomie entre les deux sexes et la beauté métaphysique de leur combinaison dans un des plus beaux morceaux de son essai « L'homme pénètre, la femme accueille. L'homme engendre, la femme enfante. Seul l'homme peut faire ce qu'il fait, seule la femme peut faire ce qu'elle fait. Jamais l'homme n'est autant homme que dans les bras d'une femme. Jamais la femme n'est autant femme que dans les bras d'un homme. Les différences de milieu, de race, de religion, d'éducation, d'opinions passent au dernier plan : pour un instant, l'homme n'est qu'homme, et la femme que femme. Eh bien, cette situation me parait foncièrement aristocratique. L'aristocratie consistant à chercher à être le plus possible, le mieux possible, ce qu'il nous est donné d'être, lorsqu'un homme est, pour quelques instants, pleinement homme, et qu'une femme, aux mêmes instants, est pleinement femme, c'est-à-dire que la distance entre eux atteint son point culminant, c'est là que le couple parvient à sa plénitude, parce que c'est le maximum de différence qui produit le maximum d'identité, et donc la plus grande possibilité d'union. C'est peut-être là ce qu'il le plus difficile de concevoir :  l'aristocratie n'est pas l'art d'être supérieur à autrui, mais celui d'être soi-même mieux qu'aucun autre ne saurait l'être ».

 

Un peu plus tôt dans son essai, Volkoff décrit l'aristocratie comme une philosophie, une philosophie de la différence, et donc de la vie, car sans différence, il n'y a pas de vie ; avant de citer de nouveau son maître Bredaiev : « Tout élan créateur est un mouvement vers l'inégalité, une élévation ». Embrasser les inégalités naturelles sans les générer artificiellement, voilà un des nombreux challenges de l’avenir dont les conservateurs devront se montrer dignes.

 

Pour le SOCLE :

 

- Nous devons tendre au comportement aristocrate en toute circonstance.

- En d’autres termes, nous comporter en gentilshommes, au sens original du terme.

- La recherche du commandement n’est pas celle du privilège.

- La qualité induit fatalement la supériorité.

- Toute société est hiérarchique, et donc aristocratique.

- En fait, tout est aristocratique.

- Cette hiérarchie doit s’ordonner naturellement, organiquement, plutôt que d’être trafiquée par des imposteurs.

- La raison de vivre tient à l’être, et non à l’avoir.

- Les membres d’un ordre nobiliaire doivent se comporter de façon noble.

- Un roturier peut se montrer aussi « noble », dans sa philosophie de vie, qu’un noble au sens de l’appartenance sociale ; peut-être l’attitude compte-t-elle autant que l’appartenance…

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