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Chenonceau

Depuis cinq siècles, le château de Chenonceau reflète le silence de sa mélodie de pierre dans les eaux bleues du Cher. Le donjon carré de la rive droite en donne les premières notes, aiguës et vives, par son architecture gothique. La symphonie se poursuit sur un rythme plus lent et binaire, dans l'impeccable dessin classique de la galerie sur l'eau. Construit à l'instant où les architectes français adaptaient l'art italien à la manière de bâtir locale, le château de Chenonceau est comme la métamorphose pétrifiée de l'art français au XVIe siècle. Bien plus, c'est tout l'art français du XIIIe siècle au Second Empire qui se déroule sous nos yeux au cours de la visite, incontournable pour tout amoureux de l'art européen.

 

Gaspard Valènt, pour le SOCLE

 

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Par une brumeuse matinée d'hiver, je m'engageai sur le tapis doré à la feuille de  l'allée d'honneur. De part et d'autre était un bois aux arbres séculaires. Un étroit sentier m'invita jusqu'à un labyrinthe circulaire taillé dans l'if sous les ordres de Catherine de Médicis. Ordre que les jardiniers continuent de suivre quatre siècles et demi plus tard. En son centre se trouvait une petite gloriette de bois, ainsi qu'une statue d'Aphrodite juchée sur une colonne corinthienne. A côté du labyrinthe, sous la charmille, la brume se dissipa pour laisser apparaître le façade que Jean Goujon, sculpteur du Louvre de François Ier, avait réalisé pour Chenonceau. Bien que fort belle, on lui a préféré celle d'origine, réalisée une cinquantaine d'années auparavant dans le goût gothique. Comme la métamorphose de l'art français fut brève pensai-je ! En quelques décennies, dans la première moitié du XVIe, il passa du gothique au classique et ce château en est la plus belle illustration. Les piliers de cette façade étaient ornés de figures en gaine taillées en bas-relief, sortes de termes pourvus de bras. J'y reconnus Apollon, Athéna Pallas, Héraclès et Damia.

Chacun d'eux, en plus d'Aphrodite, reçut de moi l'hommage lui étant dû. Je regagnai l'allée d'honneur et croisai une ferme du temps de Catherine de Médicis. L'épais brouillard ne me permettait pas de la distinguer, mais le parfum m'indiquait la présence d'une roseraie. Pressé de sentir les effluves de cette reine fleur, je m'y pressai pour bientôt découvrir toute une cour de princesses épanouies, offertes à mes sens dans la plus pure et délicate volupté.

 

"Les roses sont la volupté des dieux mêmes"

 

Ces vers d'Anacréon me revinrent en tête, comme prononcés par une proche jeune voix. Etais-je enivré par les senteurs ? Je ne sais, mais une douce beauté s'approcha de moi en souriant. Les cheveux sombres tressés de fleurs sauvages, le teint clair et la démarche souple. Son visage et sa silhouette indiquaient le printemps de la vie. Chloris s'appelait-elle. Je la suivis dans l'allée jusqu'aux deux sphinx marquant l'entrée du château.

 

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Ils proviennent de celui de Chanteloup, bâti en 1775 par Louis Denis Le Camus pour le duc de Choiseul, et furent amenés ici lorsque le domaine fut détruit par la Bande noire sous la Restauration. Puissent-ils mieux défendre celui-ci répondis-je, et nous continuâmes. Sur notre gauche, le bâtiment des Dômes, construit sous Catherine de Médicis pour servir de manufacture de soie, était d'une grande élégance avec le toit à l'impériale de ses pavillons et ceux en carène de ses ailes. A la douceur de ces lignes, s'ajoutait le contraste enrobé de brume entre l'ardoise noire et l'enduit blanc.

 

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Nous passâmes devant une petite chancellerie rustique du XVIe qui nous mena au jardin de Catherine de Médicis. En son centre, un bassin d'eau calme laissait flotter quelques oiseaux venus des bois voisins goûter au calme de ce lieu dévolu à la déesse Artémis. Parvenus au pied d'une grosse tour ronde, Chloris m'apprit qu'il s'agissait-là du dernier vestige du château des Marques, premiers propriétaires du lieu. Un premier fort avait été bâti vers 1230 par cette famille, puis rasé en 1411 lors de la guerre de Cent Ans. En effet, les Marques avaient pris parti anglais. Vingt ans plus tard, Jean II Marques vint humblement excuser la trahison de son père et demanda autorisation pour reconstruire son château, ce qui lui fut accordé. Mais, bientôt ruinée, la famille dut vendre le domaine au notaire tourangeau Thomas Bohier, également secrétaire du roi Charles VIII, maître des comptes à Paris, secrétaire des Finances à Grenoble et récemment anobli baron de Saint-Ciergues. Le second château des Marques fut alors rasé, à l'exception de cette tour et d'un puits orné d'une chimère et d'un aigle bicéphale, emblème des Marques.

 

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Une volée de marches nous mena jusqu'à un puissant pont-levis qu'on abaissa, la herse se leva et la dame fut courtoisement saluée par le garde. Je m'arrêtai un instant pour admirer la façade.

La structure en était gothique et les détails antiques, à l'exception des remplages sinueux des fenêtres de la chapelle, dont le chevet s'avançait en porte-à-faux sur la gauche. Ce petit fort carré de vingt mètres de côté avait été bâti de 1513 à 1521 sous la direction de Catherine Briçonnet, épouse et bientôt veuve de Thomas Bohier, mort aux côtés du roi dans les guerres lombardes en 1523.

 

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Le portail d'entrée était orné de reliefs figurant des roses, des cornes d'abondance et des chimères. Le vestibule était voûté d'ogives triangulaires, donnant au lierne un tracé en zig-zag que l'effet de perspective rendait moins nerveux à mesure qu'il s'éloignait de mon regard. Au fond, il me sembla même qu'il se prolongeait dans la démarche chaloupée de ma guide pour finir parfaitement dompté entre ses reins.

 

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Nous parvînmes dans la salle des Gardes, où des troncs de chêne entiers brûlaient sous les armes des Bohier. M'ordonnant silence d'un geste gracieux, nous pénétrâmes en la chapelle dévolue aux saints Thomas et Catherine. La flamboyance de cette architecture gothique m'intima le nouvel ordre de m'agenouiller et de prier. La chambre de Diane de Poitiers, maîtresse d'Henri II, attira peu mon attention, j'y trouvai le maniérisme lourd, et pressai ma cicérone de passer les portes. Nous traversâmes ainsi le cabinet de Catherine de Médicis, la librairie, dont le plafond à caisson de bois datant de 1525 retint mon attention, pour finir dans la chambre de François Ier, dont la cheminée était du meilleur gothique et Les Trois Grâces de Carle van Loo, du meilleur rocaille.

 

 

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Enfin, ce fut la galerie, dont l'ample volume se déroulait, comme le pont qu'il était, d'un bout à l'autre de la rivière. Ses fenêtres ménagées vers l'amont comme vers l'aval permettaient de jouir d'un spectacle que la nature n'offre guère qu'aux oiseaux. L'espace était préparé pour Noël, des tables seraient bientôt mises et les meilleurs des mets offerts aux convives. Revenus sur nos pas, nous accédâmes à l'étage par des escaliers rampe sur rampe, à la manière italienne, bien qu'un exemple gothique se trouve au portail des Libraires de la cathédrale de Rouen.

 

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Chloris tenait à m'y montrer la sinistre chambre que Louise de Lorraine y avait fait aménager à l'assassinat de son époux le roi Henri III, dernier des Valois. Les rideaux toujours tirés, des larmes, des couronnes d'épines et des cordelières de veuve étaient peintes en argent sur les parois noires de cette pièce où la veuve vivait toujours de blanc vêtue. L'âme de la malheureuse habitait encore le lieu, aussi, je le quittai précipitamment, refermant la porte derrière nous. Le soir tombait, la visite se terminait. Sur une note bien sombre rétorquai-je. Heureusement, ma guide connaissait assez le lieu pour me faire descendre, par une poterne, dans une petite barque flottant sur le Cher et dans laquelle se trouvaient deux verres de cristal et une bouteille de La Grange Tiphaine cot vieilles vignes 2012, un grand Touraine. Le soir tombait, mais les étoiles se levaient, et nous voguâmes dans une brume crépusculaire, devisant pour savoir lequel de nous était le songe de l'autre. Soudain, Chloris s'évanouit dans la brume, et je ris du délicieux tour que sur mes sens venaient de jouer l'art, la nature et le vin de Touraine.

 

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