L’École d'Athènes, Raphaël, fresque de 7,70 mètres de large exécutée de 1508 à 1512 dans les Chambres du Vatican.
Transposer en peinture le génie de la pensée européenne et rendre un éternel hommage aux hommes qui l'incarnèrent, tel fut le défi relevé par Raphaël. Ouvrant les temps de la Renaissance, cette fresque nous montre que tout mouvement, toute ascension ne se fait que dans la reconnaissance de l’œuvre des pères et des sommets qu'ils atteignirent. Reconnaitre, c'est tout à la fois faire preuve de gratitude à leur égard, se reconnaitre dans leur exemple et réapprendre la Tradition qui nous habite et nous lie. Ce que Raphaël donne enfin à voir, c'est la pluralité et l'unité de leur marche vers la Connaissance et le Beau, définition abrégée de toute sagesse.
Gaspard Valènt, pour le SOCLE
Dans un intérieur à l'architecture classique parfaite, pur respect des règles exposées au Ier siècle par Vitruve, prennent place les grands penseurs européens. L'ample et noble fond architecturé est le temple de la Sagesse tel que dessiné par Bramante. C'est probablement cet homme qui conseilla au pape Jules II de faire venir Raphaël à Rome. Ce temple, jamais bâti, s'inspire du Panthéon romain et influencera le chantier de Saint-Pierre de Rome, alors conduit par Bramante. De par son plan centré et sa dévolution, le temple de la Sagesse imaginé par Bramante évoque la Sainte-Sophie de Constantinople. Cette église, alors mosquée depuis cinquante ans, avait été bâtie de 532 à 537 par deux architectes dépositaires des connaissances antiques, Anthémius de Tralles et Isidore de Milet. Ce savoir permit l'érection d'une coupole qui, jusqu'à la prouesse de Brunelleschi à la cathédrale de Florence en 1418, restera inégalée. Sainte-Sophie, Sophia en grec, n'est pas une sainte chrétienne mais une allégorie européenne dont le culte pouvait satisfaire tant les chrétiens que les païens, alors platoniciens et encore fort nombreux.
Nommé peintre officiel de la papauté en 1508, Raphaël, fraîchement arrivé de Florence, décore à fresque les appartements de Jules II dans le palais du Vatican. C'est ce qu'on appelle les Loges, ou Chambres vaticanes. La Chambre de la Signature est ornée de deux peintures se faisant face : L'Ecole d'Athènes et La Dispute du Saint Sacrement. La Philosophie et la Religion, le Paganisme et le Christianisme, l'Antiquité et le Moyen Age, la Raison et la Foi, soit les parents de l'Europe que la Renaissance cherche alors à réconcilier.
Au centre et debout prennent place Platon et Aristote, considérés depuis le XVe siècle comme les plus grands philosophes de l'Antiquité. Le premier, vêtu de rouge et de violet, tient son Timée sous le bras et représente le domaine spirituel. Il est figuré sous les traits de Léonard de Vinci et lève le doigt en l'air, à l'image de saint Jean-Baptiste. En désignant le ciel, ce geste rappelle sans doute que le parfait modèle de la création humaine doit être les Idées éternelles telles que décrites par Platon. Il marche en compagnie d'Aristote qui porte son Ethique et baisse la main vers le sol. Il représente le domaine sensible et temporel. Cet équilibre entre l'esprit et la matière, la raison et l'empirisme, l'Idée et la réalité, la théorie et la pratique, se retrouve dans les deux statues de divinités habitant les niches du mur. Celle de gauche est Apollon, dieu de la Beauté, des Arts libéraux, du Soleil et de la Perfection, celle de droite Athéna, déesse de la Guerre défensive, de la Justice et de la Sagesse. Tout à gauche et de profil, en partie dissimulé par un piédestal sans colonne se trouve Zénon de Kition, fondateur en 301 av. J.-C. de l'école stoïcienne. Il divisa la science en trois domaines distincts : la logique, la physique et la morale, sa République, perdue, conciliait la Constitution spartiate avec la philosophie cynique. Zénon mit fin à ses jours en retenant sa respiration, suicide déjà pratiqué par Diogène. Les Athéniens respectaient tant cet homme qu’ils lui donnèrent les clefs de la cité, une couronne d'or et lui érigèrent deux statues de bronze. L'homme drapé de bleu et couronné de feuilles de pampres est Epicure, qui apparaît avec l'embonpoint et le sourire auxquels conduit sa philosophie à l'austérité modérée. On ne sait trop qui est le vieil homme appuyé contre le piédestal et vêtu d'ocre. Est-ce saint Boèce ou bien Anaximandre, le maître de Pythagore ?
L'homme agenouillé en train d'écrire est Pythagore. Il est entouré de trois élèves dont l'un tient l'epogdoon, symbole d'harmonie. Un autre de ses élèves est Averroès, drapé de vert et coiffé d'un turban blanc. Ce philosophe andalou du XIIe s. fit tant progresser les connaissances dans les domaines de la médecine, de la logique et de la théologie qu'il fut convaincu d'hérésie par le califat almohade. Directement au-dessus de Pythagore et casqué se trouve Alcibiade ou Alexandre le Grand. Xénophon, drapé de bordeaux, l'aide à avancer comme il aida Alexandre à pénétrer en Grèce. La belle femme vêtue de blanc qui nous regarde directement est Hypatie, grande philosophe et mathématicienne alexandrine que l'Histoire a retenu pour sa grande beauté et sa mort tragique, traînée nue jusqu'à l'autel d'une église et assassinée par les premiers chrétiens. Au-dessus d'elle, le jeune homme drapé de vert et de bleu semble être Eschine, l'un des dix orateurs attiques, considéré comme le meilleur d'Athènes. A ses pieds prend place Parménide d'Elée, occupé à rédiger un traité en prenant appui sur un socle. Ce pythagoricien du Ve s. av. J.-C. détacha la morale de la vérité, affirma que la Terre était ronde et la divisa en cinq zones climatiques. Il semble ici en pleine querelle avec son maître Pythagore, duquel il se détacha au cours de sa vie. Socrate prend place au-dessus de lui et vêtu de vert. Héraclite est figuré sous les traits de Michel-Ange accoudé à une table. Affalé sur les marches se trouve Diogène le Cynique, le plus célèbre de cette école qui prêchait un mode de vie austère en accord avec la nature.
En haut à droite se trouve la figure de Plotin, drapé de rouge. C'était un philosophe néoplatonicien du IIIe s. ayant affirmé l'existence d'un principe supérieur absolu et unique assimilé au Bien. Claude Ptolémée tient la sphère céleste, allusion à ses travaux sur l'astronomie. Ce scientifique du IIe s. fut grand mathématicien et opticien, il rédigea également un traité de musicologie et d'astronomie. Selon lui, la race, la terre et la culture déterminaient le caractère d'une personne. Face à lui se trouve le géographe Strabon, tenant la sphère terrestre.
Courbé devant quatre étudiants, sous les yeux desquels il trace une figure au compas, se trouve Euclide ou Archimède, tous deux actifs autour de l'an 300 av. J.-C. Le premier de ces mathématiciens fit progresser de manière conséquente l'arithmétique et la géométrie, le second fut l'un des plus grands scientifiques de l'Antiquité, spécialisé dans les domaines de la géométrie, de l'ingénierie, de la physique et de l'arithmétique. Cet homme est figuré sous les traits de Bramante, architecte de Saint-Pierre de Rome, du Tempietto de l'église San Pietro in Montorio de Rome, du palais du Vatican et d'églises milanaises. Situé tout en bas à droite et à moitié dissimulé par le pilier orné de rinceaux, se trouve Protogène, plus grand peintre de son temps avec Apelle, son rival auprès d'Alexandre le Grand. Il est ici figuré sous les traits du Pérugin, maître de Raphaël, ou de Sodome, peintre piémontais aidant alors dans la décoration de la Chambre de la Signature. Enfin, Raphaël s'est figuré en Apelle vêtu de noir, entre Strabon et Protogène.
Tous ces penseurs sont entourés d'élèves, symbolisant la transmission du savoir européen. L'un d'eux, le garçon nous regardant derrière Epicure, est Frédéric II de Mantoue, alors âgé de huit ans et otage auprès du pape. C'est lui qui, devenu duc, deviendra grand mécène et fera construire le palais du Té par Jules Romain et peindre la suite des amours de Zeus par le Corrège, deux chefs-d’œuvre. On le voit, cette assemblée est loin d’être composée uniquement d'Athéniens. Le titre de cette œuvre est à prendre au sens large, étant entendu qu'Athènes est le berceau de la pensée européenne.
L'esthétique de cette fresque, où les couleurs primaires et secondaires se juxtaposent sans fondu et se répondent en rimes, où les gestes sont nobles et calmes, où une rigoureuse construction règle les lignes directrices, stables et horizontales, est considérée comme la source du classicisme où viendront s'abreuver des générations de peintres et d'architectes, du Poussin à David, de Christopher Wren à Jacques-Germain Soufflot.
Voici, dans sa plus pure expression, résumée la dimension méditerranéenne de la civilisation européenne. Dimension qu'on appelle classicisme.