L'essence de ce livre peut se résumer en un mot : « pèlerinage » car c'est bien un parcours spirituel qui nous est présenté ici, décomposé en textes tantôt personnels tantôt didactiques et rédigés par Christopher Gérard de 1993 à 1999. Contrairement à Alain de Benoist qui compare Christianisme et Paganisme dans « Comment peut-on être païen ? », Gérard ici nous décrit à partir de son expérience, comment redevenir païen. En redécouvrant l'Europe et ses régions, ainsi que ses Dieux bienveillants. À notre époque, tout semble brouillon et uniforme, la religion ne semble plus avoir sa place et même les géants monothéistes s’essoufflent. Le paganisme devient alors un retour aux sources naturel et surtout nécessaire. Au-delà de son vécu, et de son érudition, Christopher Gérard conclut l'ouvrage par une introduction à ce qui a été entre autres un vecteur du paganisme pour lui, et un idéal auquel il faut aspirer: le Mithriacisme.
Structure de l’oeuvre: Le livre se compose de 14 textes dont le premier et le dernier sont directement adressés au lecteur (Adresse au lecteur et Manifeste polythéiste). Entre les deux, c’est un véritable tour de l'Europe auquel Christopher Gérard nous convie, étirant son tracé du Grand Nord (Vers le Nord Mystérieux) à la Grèce étant un helléniste de cœur (Le retour aux Grecs) en passant par la Gaulle et ses peuplades (Celtes et pétulants) sans oublier l'Italie qui porta le Grand Julien renommé vulgairement Julien l'Apostat par l’historiographie chrétienne (Stèle pour un empereur solaire). L'ouvrage recèle une richesse stylistique flirtant avec le courant de conscience rendant sa lecture d'autant plus passionnante (comme lorsque l’on vibre avec les Celtes soulevant Julien sur un bouclier, Gérard nous introduisant d’une phrase à l’autre, d’une pensée à l'autre).
Marco Bulat, pour le SOCLE
La critique positive de Parcours païen au format .pdf
Sanctuaire d'Apollon, Delphes (Gérard nous raconte comment, jeune, il s'est faufilé à l'aube dans le temple pour brûler de l'encens et honorer Apollon)
Déspiritualisation de l'Occident : L'érudition de Christopher Gérard nous permet de contempler toute la sagesse et la richesse que recèle l'Antiquité. De comprendre comment les Anciens ont atteint une telle harmonie avec le monde. C’est vers cette sagesse que nous devons nous tourner pour revitaliser et refonder un Occident aujourd'hui vide de toute spiritualité.
Ce vide spirituel est d'ailleurs la raison pour laquelle a lieu cette déconstruction violente et massive, aux antipodes de la grandeur d'antan, où fleurissait les constructions sociales et intellectuelles mais surtout les œuvres motivées par une passion furieuse pour le divin. Ainsi déconstruit-il en masse et vient à menacer l'existence de ses peuples constitutifs au nom d'un libéralisme qui a perdu toute logique et d’idéologies sociétales qui ne sont que le prurit d’une modernité qui n’en finit plus de mourir. Cet Occident où les esprits perdus ne trouvent plus à satisfaire que leurs pulsions primaires et matérialistes au lieu de s'instruire, de lire et de réfléchir afin d'être sage et de transmettre aux générations futures (le colloque 2017 de l’Iliade a là bien servi de rappel). Les esprits des Occidentaux sont enchaînés, tel est le résultat d'une société subordonnée au lucre.
L'Inde : Christopher Gérard met en parallèle notre situation avec celle l'Inde qui, elle, a su garder sa Tradition, c'est-à-dire sa mémoire, pendant plusieurs millénaires. Mais qu'y voient les occidentaux ? La pauvreté, pas bien plus hélas (même si cela est vrai, la foi des brahmanes est telle vraiment responsable du clivage social et de la déchetterie qu'est devenue l'Inde à certains endroits ?) Mais quand Christopher Gérard s'y rend en pèlerinage et va rencontrer les brahmanes, leur parle de son paganisme, de son histoire, ils le disent sage et l'acceptent sans hésiter, soulignant la fraternité qui unit les peuples indo-européens. Cependant, il met en garde les Occidentaux qui se laisseraient tenter par un hindouisme béat et une dévotion suprême envers l'Inde, quitte à abandonner et oublier l’Europe et ses racines : l'Inde est un modèle et un bon exemple à suivre, s'y perdre est un piège et un écueil à éviter.
L'Immense Julien : La biographie de Julien et son rôle en tant que dernier empereur véritablement païen et solaire est également un point fort. Voltaire disait de lui qu'il était le « plus grand homme de tous les temps" et ses actions durant son règne tristement court sont des véritables mantras que tous les païens devraient suivre. Alors que la persécution des païens commençait à prendre de l'ampleur et que l'avarice de l'Eglise pour les terres des paysans (surtout païens) devenait un véritable problème, il a su redonner du pouvoir au paganisme au sein de l'Empire et freiner l'Eglise dans ses abus de pouvoir. Gérard souligne d’ailleurs que si Julien était resté au pouvoir pour 20 ou 30 ans de plus, un véritable syncrétisme pagano-chrétien aurait pu être possible : en effet Julien répétait encore et encore que les persécutions ne devaient pas être rendues et que la violence contre les chrétiens étaient futiles, qu'il fallait au contraire les accepter en tant que minorité et continuer de revitaliser le paganisme, alors corrompu par trop de religions orientales mal assimilées (une des raisons d’ailleurs pour laquelle l'Empire périclitait). On comprend l’importance de Julien pour Christopher Gérard et pourquoi ce "Parcours Païen" est dédié à sa mémoire.
Julien l'Apostat, musée des thermes de Cluny, Paris.
On retiendra également ces quelques pages à propos de la brutalité du monothéisme et de ses conséquences en Europe (outre l'incendie de la bibliothèque d'Alexandrie où quelques païens s'y étaient réfugié, pourchassés par des musulmans lors des conquêtes arabes) : conversion par la force, négation totale des valeurs et de la mémoire plurimillénaire païenne, arasement similaire à celui créé et voulu par le mondialisme aujourd'hui. Arasement auquel le christianisme finira partiellement par renoncer, intégrant Dieux et célébrations à son univers, prolongeant l’existence des spectres païens flottant encore sur nos terres. Les monothéismes et le paganisme, bien que diamétralement opposés sur bien des points, comportent de fait, chacun des germes de l'autre, ce qui les lie intimement.
Mithriacisme : Quelques mots enfin sur le mithriacisme, dont Christopher Gérard nous parle tant. Il le présente comme une sorte de « Franc-maçonnerie sous la IIIème république » de l'Antiquité. Les informations, plutôt fragmentaires, disponibles sur le culte de Mithra et sa pratique pendant le Bas Empire romain le situent parmi les « cultes à mystères » de type initiatique. Sa transmission est orale selon un rituel transmis d'initié à initié et non basée sur des écritures sacrées.
Le Mithraeum de San Clemente à Rome
Le culte de Mithra s'exerce dans des temples nommés mithræa. Ces endroits sont au départ des grottes naturelles. Plus tard des constructions artificielles les imitèrent (comme les colonnades des temples de l’Antiquité rappellent les forêts où l’on célébrait les cultes par le passé). Obscures et dépourvues de fenêtres, elles sont exiguës ; la plupart n'accueillent pas plus de quarante personnes. La grotte est censée représenter le cosmos, l'univers, ainsi les initiés baignent dans le tissu de l'espace-temps pour prier Mithra. Dans le culte de Mithra il existe sept niveaux d'initiation qui peuvent être mis en relation avec les sept planètes de l'astronomie de l'époque (la Lune, Mercure, Vénus, le Soleil, Mars, Jupiter et Saturne selon cet ordre). Mithra en soit est un Dieu on ne peut plus européen puisque né avec un bonnet phrygien, un couteau et une torche. Á sa naissance il s’abreuve à la source sacrée, déjà adoré par les hommes. Il se nourrit des fruits de l'arbre sacré et de ses feuilles se façonne un vêtement.
Statue de Mithra, date inconnue, Musée Pio-Clementino, Vatican.
Il voit un taureau dans les montagnes, le taureau originel en train de paître (à l'image d'Ymir et de la vache Audhumla dans la mythologie nordique). La légende raconte qu'il le chasse jusqu'à que ce dernier soit trop fatigué pour continuer à courir. Mithra une fois dans la grotte se voit ordonné par un corbeau envoyé par le Soleil (le fameux Sol Invictus) de sacrifier le taureau. Le Dieu, soumettant le taureau, lui enfonce alors le couteau dans le flanc. Le taureau se défait alors et ses différentes parties se métamorphosent : sa colonne vertébrale voit jaillir du blé, son sang devient du vin, enfin sa semence est recueillie par la Lune pour procurer aux hommes des animaux utiles. Tout nous renvoi à l’élément liquide (sang et semence en plus de l’humidité de la grotte).
Outre cette origine d'envoyé / frère / fils du Soleil et de dieu originel, Mithra symbolise la confiance, l'amitié, la loyauté et l'accord social comme cosmique, tout comme il défend la Bona Fides (valeur chère à tout honnête européen, qu’il soit païen, chrétien, ou libre-penseur). On comprend ainsi son succès chez les Romains et en particulier chez les soldats.
Bien qu'indo-iranien, Mithra s'est imposé d'abord sous l'Empire romain où beaucoup de puissants participaient aux cultes (comme Néron, Commode, Aurélien) dans des loges secrètes, avant de se voir interdit de culte, comme beaucoup d'autres, par Théodose. Il survit cependant en Europe où il trouva des adeptes qui construisirent des mithræa du Rhin à l'Indus. Couplé à Varuna dans les mythes indo-iraniens, c'est avec le Soleil qu'il est forme un duo divin en Europe, au point de les confondre et d’arriver à un panmithriacisme (le soleil ayant une place « supérieure » dans presque tous les paganismes, il n'a pas fallu longtemps pour que naisse en Europe un monothéisme avec Mithra comme incarnation du soleil, d'ailleurs promu par Julien, mais refusé par beaucoup).
Dernier point important et non des moindres, alors que le christianisme pensait éradiquer le mithriacisme, il l'a en fait assimilé: la date de naissance du Christ le 25 décembre aux alentours du solstice d'hiver est celle de Mithra. Comme Mithra, Chrestos naît le 25 décembre dans une grotte, d'une vierge, là où Mithra naît de la pierre (d'où son surnom de « pétrogène »). Que l’on se souvienne enfin de la devise christique : « tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon église » qui est aussi une formule mithriaque.
Christopher Gérard dit du mithriacisme qu'il est « comme un monisme vitaliste, un panthéisme initiatique : Mithra est solidaire de ce monde, en harmonie avec ses éléments et en immolant le taureau, il anime le cosmos. » Le mithriacisme est un culte optimiste et moral de l'action, il s'agit de dompter instincts et passions. Mithra apparaît comme un héros tragique : le sacrifice mithriaque illustre parfaitement la démarche païenne, foncièrement inclusive. « Acceptation de la divine alternance, refus de tout renoncement mutilant, vision holistique d'une réalité polymorphe, passion pour la singularité. Telle est notre vision du paganisme solaire. »
Pour le SOCLE :
- Nos racines, nos liens avec nos ancêtres ont été (partiellement) coupés. A nous, païens, comme à tout Européen soucieux de ses origines, de les retrouver, de se les réapproprier et enfin de transmettre l’immémorial héritage.
- Un païen ne peut donner de préséance à un panthéon spécifique. Les différents Dieux d’Europe recoupent à chaque fois les mêmes concepts, les mêmes réalités, les mêmes forces comme l’ont bien montré les travaux de la mythologie comparée de Georges Dumézil. Apollon, Baldur et Belenos sont les différentes incarnations d’un même idéal de pureté solaire. Et dans la Lune il faut voir les visages tant de Séléné que de Máni, d’Endymion que d’Artémis. C'est en voyageant en Europe que l’on va à la rencontre des divinités ici et là, et comme Pythéas lors de son périple, un païen doit leur rendre hommage à chacune des terres qu’il foule. Finalement, pour être pieux, il convient de voyager dans toute l’Europe et d’aller à la rencontre de nos frères européens. Cela n’est-il pas en définitive ce qui doit être le premier de nos pèlerinages ?
- Les persécutions religieuses entre Européens, qui ont été commises des deux côtés, ne doivent plus se reproduire.
- Si notre longue mémoire a pu perdurer pendant si longtemps, c’est parce qu’elle répondait à un besoin vital. Nous ne pouvons exister sans elle. Aujourd’hui, païens comme chrétiens doivent revitaliser leur foi pour rebâtir l'Europe.
- La perpétuation de la foi comme des rites est capitale. Une prière adressée au soleil à l'aube, du vin versé en l'honneur de Bacchus le soir à l'heure du repas, un encens brûlé sur un autel sur lequel se chevauche une rouelle en chêne ou en frêne et une statuette de Toutatis sont aussi importants que le combat intellectuel et politique. Encore une fois, le païen voit le sacré en toute chose. Ces gestes permettent de le célébrer chaque jour que les Dieux font.
Commentaires
Merci pour cette chronique consacrée à mon essai. Un détail important : épuisé, l'ouvrage a été réédité dans une version augmentée sous le titre La Source pérenne.
Nous avons rajouté une note en début de texte pour le signaler. Cordialement.