Un chaos rocheux inondé de flots tumultueux s'étale devant nous, aux pieds du puissant Titan Océan, debout sur son char de coquille tiré par deux Tritons et deux chevaux marins. Derrière lui, une immense façade classique se dresse jusqu'aux sensuelles statues des Quatre Saisons et au magnifique blason des Corsini. Cette source est mise en valeur par un monument où l'art, la nature, le sacré et l'histoire romaine se mêlent. Le bruit de l'eau, la sculpture et l'architecture de tradition antique, l'ingéniérie romaine, l'evergétisme pontifical et la générosité de la Nature concourent à ce monument baroque qui est une grande gloire de la civilisation occidentale.
Adossée au palais Poli, la façade se compose d'un soubassement traité en bossages continus en table. Ce premier niveau est surmonté de deux étages - l'un de baies à frontons triangulaires, l'autre à frontons cintrés. Tous deux enjambés par un ordre colossal de pilastres corinthiens. Cette gradation, allant de l'aspect le plus viril au plus féminin, obéit à la Nature où l'homme porte sa belle femme, et où l'heureuse épouse porte son enfant désiré. Avec ses courbes, ses cambrures et ses ornements, le deuxième étage apparaît comme la femelle du premier. Suit un attique alternant fenêtres carrées et tables ornées de cornes d'abondance entrecroisées sous un mascaron à trogne de satyre. Au centre, en saillie, se détache un grand arc de triomphe en serlienne. L'arcade principale accueille la statue nichée du Titan Océan, le maître des eaux. Il est dû aux ciseaux de Maini et nous fait penser à la fontaine des Quatre Fleuves du Bernin. Dans les niches latérales, rectangulaires, prennent place Abundantia et Salus, déesses latines de l'Abondance et de la Salubrité.
La première présente un fougueux drapé berninien et la seconde, plus calme, évoque les statues antiques de Diane. Elles sont toutes deux dues aux ciseaux de Filippo della Valle. Au-dessus de la première se trouve un relief figurant Agrippa approuvant, en 19 av. J.-C., le projet d'aqueduc de l'Aqua Virgo, qui alimentera la fontaine. Au-dessus de la seconde prend place un relief de Giovanni Battista Grossi figurant la vierge montrant aux soldats la source qu'elle vient de découvrir. Quatre statues des Saisons sont juchées sur l'entablement des colonnes et scandent l'attique, au centre duquel se trouve une inscription rendant hommage au pape, maître d'ouvrage du monument. L'Automne, tout à gauche, porte une corne d'abondance de laquelle sortent des grappes de raisin, elle est de Francesco Queirolo ; l'Hiver est la plus couverte, elle porte des gerbes du blé d'hiver qui se sème à l'automne ; vient ensuite l'Eté, la plus dénudée et sensuelle, qui lève une coupe de vin ; puis arrive le Printemps, jolie jeune fille fleurie. Au sommet, ouvrant la balustrade, deux génies ailés portent le blason de la famille Corsini.
Plus grande fontaine romaine, elle est bâtie sur une place exiguë sur la demande et sous le financement de la papauté. Ce projet répondait à un concours organisé par Clément XII Corsini et auquel avaient participé des artistes de toute l'Europe. Nicolas Salvi le remporta, mais mourut avant d'avoir pu voir son œuvre achevée. Il sera remplacé, pour la fin du chantier, par Giovanni Paolo Panini.
Gaspard Valènt, pour le SOCLE
