Détruire les vieilles tables de la modernité et retourner à notre plus longue mémoire, tel est l'enseignement que Nietzsche nous livre à travers « Ainsi parlait Zarathoustra ». Sorte de bréviaire pour les Européens post-chrétiens qui refusent de sombrer dans le nihilisme et la mollesse, l'ouvrage a pour but ultime le réveil spirituel et politique de l'Europe. Les chrétiens eux-mêmes, pour peu qu'ils soient des Européens sincères, y trouveront de quoi nourrir leur réflexion, en vérifiant comment s'écarter par leurs actes du portrait souvent caricatural qui est dressé de leurs coreligionnaires.
Hans Abgrall pour le SOCLE
La critique positive de Ainsi parlait Zarathoustra au format .pdf
« Ainsi parlait Zarathoustra » est une des œuvres les plus connues de Friedrich Nietzsche. Pourtant, il doit payer de sa propre poche les frais de publication de la dernière partie, en 1885, faute de trouver un éditeur. La diffusion en est dans un premier temps assez faible, et les quelques réactions des milieux des lettres sont très mitigées : on lui reproche entres autres d'être incohérent, grandiloquent, et gratuitement contestataire.
Peu avant la mort de l'auteur, le livre commence toutefois à circuler dans les milieux völkisch (qu'on peut traduire par « identitaires » en français). Cette nébuleuse de cercles de pensées et d'associations vit en effet dans un pays tout neuf, le Second Empire Allemand, proclamé par le Kaiser Wilhelm Ier en 1871. Les penseurs romantiques, qui ont servi de terreau à la naissance du sentiment national allemand, sont moins d'actualité que naguère, leur objectif ayant été plus ou moins atteint. Ceux qui demeurent dans des cercles politiques et philosophiques sont peu à l'aise avec le caractère bourgeois-conservateur de cette nouvelle Allemagne, amputée de l'Autriche et soumise à l'hégémonie prussienne, marge nordique culturellement différente de l'opulente Bavière. Dans ce contexte, tout brûlot possédant assez de radicalité est une aubaine et un combustible de choix, fut-il constitué d'idées jetées pêle-mêle.
Pour nous autres Européens attachés à la tradition, « Ainsi parlait Zarathoustra » revêt un rôle similaire : celui d'un vaste réservoir de questions adressées à nos certitudes confortables, un vigoureux refus de la compromission, et surtout un arsenal de belles phrases, qu'elles soient sublimes ou moqueuses, à conserver avec soi pour les décocher au bon moment. A l'heure où aucune idéologie inspirée par notre tradition n'a été traduite en actes politiques depuis plus de 70 ans malgré nos efforts, où le régime qui est en place se pare du nom d'Europe tout en la détruisant dans les faits, et où les débats se gagnent plus que jamais par le sens de la répartie, il peut être judicieux de nous pencher à nouveau sur cet ouvrage, comme le firent les identitaires allemands de son époque.
Pour cela, il faut garder toujours en tête que Nietzsche fait partie, et ici plus qu'ailleurs, d’une sorte de « contre-Histoire de la philosophie européenne ». Celle-ci regroupe les penseurs qui ne s'inscrivent pas dans la chaîne débutée par Socrate, auquel succéderont Platon, Aristote, les théologiens médiévaux, les humanistes de la Renaissance, les Lumières et leurs Droits de l'Homme, Hegel, et, en bout de chaîne, l’inénarrable Bernard Henri-Lévy, en concurrence avec les élèves de l’hégélien Karl Marx. La contre-philosophie, elle, remonte aux sources de la pensée européenne, d'avant l'hégémonie aristotélicienne favorisée par l’Église catholique. La figure tutélaire de cet ensemble de courants est sans doute Héraclite d’Éphèse, un penseur grec né au VIe siècle avant J.-C., connu pour ses textes ambigus, suites de phrases laconiques faisant penser aux maximes des sages chinois ou aux énigmes philosophiques du bouddhisme zen. Surtout, il fait l'éloge de la force plutôt que de la raison, du symbole (mythos) plutôt que du discours (logos), et cherche d'avantage à engager une réflexion qu'à délivrer un enseignement.
A cette contre-philosophie, nécessairement moins homogène, nous pouvons rattacher toutes les écoles grecques non-socratiques (cyniques, épicuriens, sceptiques, et dans une moindre mesure stoïciens). La christianisation marque nécessairement un reflux de cette tendance, eût égard de la mainmise des Eglises et de leur philosophie officielle sur la vie académique. A la faveur de la modernité naissante, cependant, on observe une ré-émergence de cette tendance, avec par exemple Spinoza, dont le panthéisme fait fortement écho à celui des stoïciens, Max Stirner qui professera un individualisme radical, ou Schopenhauer qui critiquera l'institutionnalisation de la philosophie et prônera la Volonté comme principe fondamental.
Nietzsche, dans Ainsi parla Zarathoustra, se fait donc indirectement champion de cette tendance, et bafoue allègrement les codes du raisonnement logique. Il privilégie la suggestion, par le biais des jeux de mots et de la musicalité de la langue. Cela rend l’œuvre plus difficilement accessible en traduction, et il est donc conseillé lorsque c'est possible de l'aborder en édition bilingue pour les germanophones, ou éventuellement par le biais de la traduction qu'en a effectué Robert Dun, plus proche de notre vision du monde. Quoi qu'il en soit, chaque Européen d'expression française trouvera dans cet ouvrage, en plus des envolées lyriques qu'il goûtera ou non, des questions à toutes ses réponses, étapes indispensables de la grande entreprise de critique positive qu'il nous revient de mener.
Ces interrogations s'élancent depuis trois dimensions distinctes :
- comment dépasser le matérialisme ambiant, censé être la « fin de l'Histoire » ?
- comment nager à contre-courant sans se donner en spectacle ?
- comment refonder une aristocratie, habituellement transmise plutôt que créée ?
DÉPASSER LE MATÉRIALISME
« Dieu est mort » : c'est sans doute une des formules les plus connues du Zarathoustra de Nietzsche. C'est d'ailleurs pour cela que l'orateur éponyme est affublé de ce nom : Zarathoustra (aussi nommé Zoroastre en français) est le prophète fondateur du zoroastrisme, première religion monothéiste et non-violente, issue d'une réforme de la religion traditionnelle indo-aryenne. Par le biais de l'Eternel Retour dont nous parleront plus loin, c'est à lui que revient de propager à présent la nouvelle de la « mort de Dieu ».
Ni le personnage ni l'auteur n'entendent ainsi délivrer une vérité métaphysique, puisqu'ils refusent de se pencher sur ce type de spéculations, considérées comme un piège de la pensée. Ce qu'ils constatent là est simplement le processus de sécularisation grandissant de nos sociétés, reléguant le fait religieux à la sphère privée. Cela s'accompagne dans le même temps d'un fort affaiblissement du sens du sacré, même dans l'intimité. Le matérialisme comme base de la vie sociale, vendu par ses promoteurs comme une mesure de pacification indispensable à l'harmonie générale, s'avère en fait être un poison. La plupart y succombent sous la forme du « nihilisme des faibles » : le confort personnel devient le seul horizon d'existence, affaiblissant ainsi encore davantage le corps et la volonté. La vie étant ce qu'elle est, tout n'est pas que plaisir, suscitant donc désarroi et récriminations à chaque déconvenue. Ceux qui se laissent ainsi aller sont naturellement écrasés par les autres qui ont gardé davantage de vitalité, accentuant encore le ressentiment des faibles, jusqu'à l'avènement du « Dernier des Hommes ».
Cette figure, repoussoir absolu de la pensée nietzschéenne et plus largement européenne, n'a plus aucun sens éthique, et est l'incarnation-même de la mollesse physique et mentale. Face à ce triste destin qui révolte tout Européen attaché à la Tradition, qu'il soit païen, chrétien, ou libre-penseur, de quelles ressources pouvons-nous disposer ? Zarathoustra nous en expose trois principales :
- le recours à notre « plus longue mémoire », c'est-à-dire aux sources de l'Europe,
- la destruction des « vieilles tables », c'est-à-dire du conservatisme incapacitant,
- le réveil spirituel des Européens, sous quelque forme que ce soit.
A) Notre longue mémoire
Zarathoustra, à l'instar des Européens pré-chrétiens, professe l'existence d'une cyclicité du temps : c'est « l'Eternel Retour ». Même les chrétiens enracinés célèbrent encore l'existence d'une forme de temporalité non-linéaire : c'est celle du calendrier liturgique et festif, qui fait qu'à chaque bûcher de Noël succède un brasier de la Saint-Jean d'été, et qu'à chacun de ces brasiers succédera une autre bûche.
Tout passe et tout revient, éternellement tourne la roue de l'être
Tout meurt, tout refleurit ; éternellement tourne le cycle de l'être.
- Ainsi parla Zarathoustra
Les fêtes des saints patrons des diverses personnes, professions, localités, rythment l'existence en revenant d'année en année, tissant un lien subtil entre des moments éloignés dans le temps. De la même manière, à chaque phase de déclin de notre civilisation a succédé et succédera une renaissance, sous une forme à la fois nouvelle et similaire. Il est indispensable pour notre combat, non seulement de garder confiance en la possibilité qu'a l'Europe de jaillir à nouveau, mais aussi d'y travailler activement. Pour cela, il nous faut revenir aux sources de ce qui fait notre identité. Nietzsche nous parle d'ailleurs de source plutôt que de racines, car ce qui est évoqué est bien un flux, davantage qu'un point d'appui statique. Cette vision dynamique suppose de ne pas se limiter à un « c'était mieux avant » qui voudrait singer un prétendu âge d'or, situé au choix avant mai 68, avant 1789, ou avant la christianisation. Au contraire, nous devons remonter le fil pour trouver dans la Tradition, non pas le passé, mais ce qui ne passe pas, notre fil conducteur et notre impulsion fondatrice.
Celui qui est pleinement conscient
des antiques origines
finira aussi par prendre conscience
des sources de l'avenir
et des nouvelles origines.
- Ainsi parla Zarathoustra
Une représentation de la trifonctionnalité par Mario Marchal
Pour cela, il est primordial de bien connaître notre Histoire et notre Tradition, afin d'en pouvoir extraire la « substantifique moelle » et d'échapper au Grand Effacement de notre identité, prélude au Grand Remplacement de notre peuple... car on ne peut planifier sur le temps long qu'aussi loin que remontent nos souvenirs. Dans cette entreprise de redécouverte, tous les Européens se découvrent une fraternité indissoluble, puisque nos origines sont les mêmes. Trop souvent, les « nationaux-républicains » feront naître leur nation en 1789, les royalistes en 496, et les deux discourront volontiers sur la rivalité héréditaire de la France avec l'Allemagne ou l'Angleterre. Les païens s'attachent à embrasser la totalité des fameux 30.000 ans d'Histoire des Européens que Venner nous a exposés. Le risque pour eux, cependant, est de pratiquer l'amnésie sélective et d'effacer la fin de la frise chronologique, en invoquant une résistance plus ou moins fantasmée contre le christianisme qui n'est clairement pas la principale menace qui pèse sur notre peuple. Une lecture saine et intégrale de notre Histoire nous permet d'éviter ces écueils.
Je connais un autre danger
et un autre motif de pitié.
La mémoire de l'homme du commun
remonte jusqu'à son grand-père,
mais au-delà de son grand-père,
le temps cesse.
Tout le passé est donc livré sans défense.
- Ainsi parla Zarathoustra
B) Briser les veilles tables
Dans ce grand mouvement de retour aux sources, l'Européen traditionnel rencontrera souvent de nombreuses barrières. Celles-ci peuvent être indifféremment issues du progressisme moralisateur ou du conservatisme poussiéreux, les deux marchant bien souvent en tandem puisque les second ne fait que s'opposer mollement au premier, pour la forme. Bien souvent, il finira lui aussi par défendre ces mêmes « Progrès » au nom du respect de l'ordre établi, du pragmatisme, et ainsi de suite. A l'image du Christ, transcendant les vieilles tables de la Loi mosaïque, avec leurs interdits alimentaires contraires à notre gastronomie ou leur manière originale de promouvoir l'hygiène intime masculine, un des défis de notre temps est de passer outre les interdits paralysants qui pèsent sur notre peuple.
Au nombre de ceux-ci, on identifiera aisément les idoles modernes : concile Vatican II pour les catholiques, mais aussi et surtout culte de la croissance perpétuelle du PIB dans un monde limité, libre circulation des personnes et des biens présentée comme une panacée, « théorie du Genre » professée comme une vérité scientifique, droit du sol comme fondement de la citoyenneté, sacralisation des élections représentatives comme mode de désignation optimal des gouvernements, dogme de la fameuse « Déclaration Universelle des Droits de l'Homme », repentance obligatoire pour l'Homme Blanc Hétéro paré de tous les vices, la liste est longue.
« Qui beaucoup apprend
désapprend tout désir violent.
La sagesse fatigue.
Rien ne vaut la peine ».
Brisez aussi, ô mes frères,
je vous en conjure,
ces tables nouvelles !
- Ainsi parla Zarathoustra
Nous pouvons prendre comme exemple Jésus chassant les marchands du temple, ou Zeus renversant l'oppression de son père Cronos, qui dévorait ses enfants comme la post-modernité dévore l'Europe qu'elle a engendrée. Il est de notre devoir de passer outre ces injonctions paralysantes et de bâtir l'Europe de demain, en gardant comme ligne directrice le flux de la source la plus profonde. Tout ce qui, dans notre héritage, s'oppose à ce que notre Tradition et notre peuple perdurent, doit être respectueusement remisé derrière les vitrines d'un musée, ou refondu pour forger une nouvelle arme qui nous donnera la victoire au combat de demain. Certes, nous aimons et devons aimer notre héritage, pourtant nous devons garder en vue que l'objectif est bien de perpétuer la flamme et non de conserver la cendre.
C'est le pays de vos enfants qu'il vous faut aimer,
et cet amour sera votre noblesse nouvelle.
- Ainsi parla Zarathoustra
En matière de militantisme politique, il existe aussi un certain nombre de « vieilles tables » qu'il nous revient de briser, eu égard de l'efficacité douteuse de la plupart des mouvements réactionnaires s'étant succédé depuis 70 ans. La lecture du très concis « Pour une Critique Positive » de Dominique Venner, consultable gratuitement sur internet (et dont vous trouverez la critique positive de Gwendal Crom pour le SOCLE), est à ce titre éclairante, et hélas encore bien souvent d'actualité. Confusion idéologique, conformisme à l'égard des « bons politiciens » du régime, archaïsme des revendications, opportunisme électoral, mythomanie complotiste ou comploteuse, terrorisme gratuit, incapacité à s'organiser, mainmise des notables embourgeoisés, la liste des défis à relever est longue mais ne doit pas nous effrayer.
C) Le réveil spirituel
Les vieilles tables étant brisées, il nous revient d'en graver de nouvelles, qui ne soient pas des limites mais des marchepieds. Cela signifie que les Européens doivent retrouver un sens du sacré et de la transcendance qui prenne acte de la « mort de Dieu » professée par Zarathoustra, c'est-à-dire du fait que la société catholique médiévale, issue de l'harmonisation mutuelle de l'héritage païen et du message chrétien, n'est plus. Le christianisme résiduel, modelé par le laïcisme cosmopolite plutôt que par la Tradition européenne, n'est plus un facteur d'élévation pour notre peuple, mais bien un ferment de décadence. La subversion de notre mode de pensée nous concerne pourtant tous, chrétiens ou non : on pensera aussi bien au néo-paganisme universaliste qu'aux menées anti-Européennes de bons nombres de loges de la franc-maçonnerie se revendiquant de la « libre pensée ». Il est donc vital, quelles que soient nos options spirituelles, d'accorder un sens spécial à la lutte pour la perpétuation de notre héritage européen, pour contrer l'indifférence et la médiocrité qui se propagent comme un poison dans notre peuple.
« Nous sommes installés au juste milieu », disent-ils,
« à égale distance du gladiateur mourant
et du porc vautré dans sa jouissance ».
Mais cela, c'est de la médiocrité,
même si on l'appelle juste milieu.
- Ainsi parla Zarathoustra
Un des grands points de clivage entre religions concerne le devenir de l'âme après la mort. Zarathoustra nous met en garde contre les conflits métaphysiques, et insiste sur l'importance de nos actes ici bas. C'est une mystique de l'action qu'il faut à l'Europe. Nul d'entre nous ne saurait connaître avec certitude ce qui l'attend après le trépas, mais tout militant de l'Europe doit absolument placer le destin de celle-ci avant sa survie personnelle. Trouver un sens à sa vie, c'est d'abord être capable de trouver un sens à sa mort. Sans cela, nous serons immanquablement submergés par les fous d'Allah, dont la vigueur n'a pas été assoupie par les mirages matérialistes.
Beaucoup meurent trop tard,
quelques uns meurent trop tôt.
Le précepte
« meurs à temps »
nous est encore étranger.
Meurs à temps ;
tel est le conseil de Zarathoustra.
- Ainsi parla Zarathoustra
Ainsi, il importe que nous placions l'Europe au centre de notre vision du monde. Cela est souvent assez aisé pour les païens, à condition d'une part de nous souvenir d'une part que nos panthéons sont tous apparentés, et d'autre part de réaliser pleinement que nos dieux sont eux aussi des Européens et qu'ils sont donc indissolublement liés au destin de notre peuple. Pour les chrétiens, il faut en revenir à l'esprit des Croisades et de la Reconquista, parmi les rares moments d'union entre Européens face à des menaces externes, tout en revigorant le christianisme populaire et enraciné, avec ses processions et ses festivités, ses serments sur les reliques du saint patron national, et enfin ses saints locaux, agissant par le biais des sources, des arbres et des pierres levées. Quant aux libres penseurs, le problème est épineux, et ne peut se résoudre qu'en accordant une valeur suprême à notre civilisation ; car, en tant qu'Européens, l'Europe est un degré plus élevé de nous-mêmes, et la servir c'est nous servir nous-mêmes à un degré plus élevé.
« Assez d'un tel Dieu !
Plutôt n'avoir pas de Dieu,
plutôt se tailler à soi-même
sa propre destinée,
plutôt être fou,
plutôt être nous-mêmes dieux.
- Qu'ai-je entendu ?
dit le vieux Pape en dressant l'oreille.
Ô Zarathoustra,
tu es plus pieux que tu ne le penses,
avec une pareille incroyance.
C'est quelque Dieu présent en toi
qui t'inspire ton impiété. »
NAGER A CONTRE-COURANT
Dépasser le matérialisme est un noble projet, mais comment y parvenir dans une période de décadence généralisée ? Il faut pour cela parvenir à nous extraire du mode de pensée de nos contemporains, non pas pour le fuir mais pour le surplomber. Il ne faut pas nous isoler de nos semblables, ce qui serait contre-productif, mais vivre parmi eux tout en gardant une vue haute, tournée vers l'avenir de l'Europe. Pour réussir cette prouesse, Zarathoustra nous livre trois pistes principales :
- cultiver notre autonomie mentale, pour ne pas céder à l'idéologie dominante,
- nous renforcer au quotidien, sur tous les plans, pour incarner nos idéaux,
- fonder des foyers fertiles et traditionnels, pour transmettre notre héritage.
A) Cultiver son autonomie mentale
Cet ouvrage, poétique plus que logique, nous demande de tirer nos propres conclusions de sa lecture. Il nous le précise même explicitement :
Car les poètes mentent trop.
Zarathoustra te l'a dit.
Mais Zarathoustra aussi est un poète !
En vérité, c'est moi qui vous le conseille,
éloignez vous de Zarathoustra
et défendez vous de lui.
Et mieux encore, ayez honte de lui.
Peut-être vous a t-il trompés.
- Ainsi parla Zarathoustra
… et pourtant il nous met aussi en garde contre la tentation de devenir un érudit blasé, un « chercheur de Vérité » qui se priverait de jamais la mettre en application :
« Tu es peut-être le spécialiste de la sangsue ? demanda Zarathoustra.
Et tu étudies à fond la sangsue, ô Esprit Scrupuleux ?
- Ô Zarathoustra, ce serait un sujet immense.
Comment pourrais-je avoir de telles prétentions ?
Mais le domaine où je suis connaisseur et passé maître,
c'est le cerveau de la sangsue.
C'est là mon Univers.
Et c'est vraiment un Univers.
[…]
C'est pour cela que j'ai tout jeté par-dessus bord,
c'est pour cela que tout le reste m'est devenu indifférent ;
et ma noire ignorance commence à la frontière même de mon savoir. »
Afin de mettre en application concrète cette injonction à l'autonomie mentale, la suite de cette critique positive sera naturellement centrée sur le texte lui-même, pour que chacun participe au travail d'interprétation qu'elle appelle.
B) Se renforcer au quotidien
« Pourquoi si dur ? »
dit un jour le charbon au diamant.
« Ne sommes nous pas proches parents ? ».
Pourquoi si mous ?
Voilà, ô mes frères, ce que je vous demande.
N'êtes vous pas mes frères ?
Si votre dureté refuse de couper,
de trancher, d'étinceler,
comment pourriez vous être un jour avec moi créateurs ?
Car les créateurs sont durs,
pour imprimer leur main sur les millénaires comme sur la cire.
Voilà la table nouvelle
que je dresse à présent au-dessus de vos têtes,
ô mes frères : devenez durs.
- Ainsi parla Zarathoustra
En l'absence d'une hiérarchie traditionnelle telle que l'a connue notre civilisation pendant l'essentiel de sa durée, chacun d'entre nous est responsable de lui-même et doit chercher à s'élever. Cela passe par un entraînement aussi bien physique qu'intellectuel, et même moral. Les plaisirs de l'existence, s'ils font partie de notre culture, ne doivent jamais nous détourner de notre but.
L'homme doit être élevé pour la guerre,
et la femme pour le délassement du guerrier.
Hors de cela, tout est folie.
- Ainsi parla Zarathoustra
C) Fonder des foyers traditionnels
Il ne s'agit pas seulement
de propager ta race,
mais de la porter plus haut.
C'est à cela que doit t'aider
le jardin du mariage.
- Ainsi parla Zarathoustra
Le foyer est l'unité de base de notre civilisation, davantage que l'individu, pour la simple et bonne raison que l'individu seul ne peut se perpétuer. Une famille, même isolée, peut perdurer au fil des générations dans un contexte difficile. Comment donc parvenir à cet idéal du couple stable, dans une société où les séparations deviennent davantage la norme que l'exception ?
Quel est l'homme que la femme hait par dessus tout ?
Le fer dit un jour à l'aimant : « c'est toi que je hais par-dessus tout ;
tu m'attires, mais tu n'es pas assez fort pour me retenir ».
- Ainsi parla Zarathoustra
REFONDER L'ARISTOCRATIE
Ne pas nous laisser vaincre par la subversion nihiliste est une chose indispensable, mais elle n'est pas suffisante en elle-même. Pour faire renaître notre civilisation, il nous faut refonder une aristocratie qui incarne nos valeurs, pousse les nôtres à s'élever, et oriente leurs efforts dans une direction commune. Trois grandes questions se posent à ce propos :
- Quelles seraient les caractéristiques de cette noblesse nouvelle ?
- En quoi permettrait-elle de faire réellement renaître l'Europe de demain ?
- Ne suffirait-il pas de prendre le pouvoir, que ce soit par des élections ou un coup de force ?
A) Une noblesse nouvelle
Le malheur le plus cruel qui puisse frapper l'Humanité,
c'est que les plus puissants sur terre
ne soient pas les premiers en valeur.
Alors, tout est faux, tordu, défiguré.
- Ainsi parla Zarathoustra
Une aristocratie, par définition, signifie le gouvernement des meilleurs. Se poser la question de savoir qui sont les meilleurs, c'est tout simplement se poser de savoir quelles sont nos valeurs. Elles sont tout simplement celles des héros européens, qui se retrouvent de l'Irlande à la Grèce depuis l'Antiquité : respect de la parole donnée, générosité avec les siens, courage sans faille face à l'ennemi, sens de l'esthétique et de la tenue en toutes circonstances.
C'est pourquoi, ô mes frères,
il nous faut une noblesse nouvelle,
ennemie de toute populace
et de tout despotisme,
et qui grave à nouveau
sur de tables nouvelles
le mot « noble ».
Car il faut beaucoup de nobles,
et d'essences diverses,
pour composer une noblesse.
Comme je l'ai dit en parabole,
« ce qui est divin,
n'est-ce pas justement
qu'il y ait des dieux,
et non un Dieu ? ».
Ce ne sera pas une noblesse que vous puissiez acquérir
comme des boutiquiers avec de l'or mercantile ;
car ce qui a un prix n'a guère de valeur.
- Ainsi parla Zarathoustra
Les dérives des systèmes autocratiques, qui posent des problèmes différents mais non moins graves que ceux de notre démocratie, nous rappellent que le mythe de l'Homme Providentiel, même lorsqu'il se réalise, n'est pas une solution à long terme. Trop souvent, il se contente d'accaparer les richesses pour son confort personnel, quand cela ne conduit pas à la mise en place de petites dynasties qui s'apparentent davantage aux républiques bananières africaines qu'à l'âge d'or des monarchies européennes. Zarathoustra nous rappelle aussi, bien entendu, que cette noblesse nouvelle ne saurait être une noblesse d'argent, car l'argent n'a pas de patrie.
B) La volonté de puissance
La Volonté de Puissance est un thème fondamental de la pensée nietzschéenne. Elle s'entend dans notre cas aussi bien au niveau individuel qu'au niveau collectif, puisqu'elle est à la fois le moyen de refonder une aristocratie, et sa raison d'être une fois qu'elle aura au pouvoir : la volonté de restaurer la puissance de l'Europe.
« Partout où j'ai trouvé quelque chose de vivant,
j'ai trouvé de la Volonté de Puissance ;
et même dans la volonté de celui qui obéit
j'ai trouvé la volonté d'être maître.
Que le plus fort domine le plus faible,
c'est ce que veut sa volonté
qui veut être maîtresse
de ce qui est plus faible encore.
C'est là la seule joie
dont il ne veuille pas être privé.
Et comme le plus petit s'abandonne au plus grand,
car le plus grand veut jouir du plus petit et le dominer,
ainsi le plus grand s'abandonne aussi
et risque sa vie pour la puissance.
C'est là l'abandon du plus grand :
qu'il y ait témérité et danger
et que le plus grand joue sa vie.
- Ainsi parla Zarathoustra
La souveraineté est un thème en vogue dans les milieux patriotes, mais il est bon de rappeler qu'il n'est de souveraineté que si elle est accompagnée de la puissance, qu'elle soit militaire, diplomatique, économique, technologique, ou culturelle.
Vous aimerez la paix
comme le moyen de guerres nouvelles,
et la paix courte plutôt que la longue.
- Ainsi parla Zarathoustra
C) L’État: ami ou ennemi ?
Dans la pensée libérale, souvent considérée comme « de droite », l’État est suspect par essence, puisqu'il intervient dans les affaires privées. Par réaction contre la droite classique, de nombreux nationalistes, surtout en France, virent dans l'extrême inverse, celui de l'idolâtrie de l’État, confondu avec la nation alors qu'il n'en est qu'un outil. Or, à l'heure actuelle, cette arme est entre les mains de nos ennemis. Comme nous l'avons vu, nous ne pouvons nous contenter, si nous aspirons réellement à la renaissance de notre civilisation, d'espérer qu'une victoire électorale ou un quelconque putsch règle le vide existentiel de l'Occident moderne.
L’État, c’est le plus froid
de tous les monstres froids ;
il ment froidement
et voici le mensonge
qui rampe de sa bouche :
« Moi, l’État, je suis le Peuple. »
Là où il y a encore un peuple,
il ne comprend pas l’État, et il le déteste,
comme le mauvais œil
et comme une dérogation
à ses coutumes et à ses lois.
Je vous donne ce signe :
chaque peuple a sa langue
à propos du bien et du mal,
que son voisin ne comprend pas.
Il s’est inventé son propre langage
pour ses coutumes et ses lois.
Mais l'État ment dans toutes les langues
à propos du bien et du mal ;
et, dans tout ce qu'il dit, il ment,
et tout ce qu'il a, il l'a volé.
Beaucoup trop d'hommes viennent au monde :
l'État a été inventé pour ceux qui sont superflus !
- Ainsi parla Zarathoustra
Il nous faut donc voir plus loin, et chercher à agir aussi à un niveau métapolitique, en diffusant dans notre peuple le souvenir de sa plus longue mémoire, et en cherchant, par la force de l'exemple, à attiser son désir d'un renouveau spirituel.
POUR LE SOCLE
- Il n'y aura d'avenir pour les Européens que s'ils retrouvent leur plus longue mémoire et le sens du temps long, car on ne peut planifier pour l'avenir qu'aussi loin que remontent en arrière ses souvenirs.
- Le passé doit être une source d'inspiration, mais jamais une limitation, car toute tradition a un jour été une innovation contredisant la coutume en place.
- Un réveil spirituel est indispensable au sursaut européen ; quelle que soit sa forme, il ne devra ni laisser la prière prendre le pas sur l'action, ni faire l'économie d'une forme de transcendance, fût elle athée.
- En ces temps d'avachissement où les structures sociales et religieuses se délitent, il importe que chaque Européen conscient soit son propre guide, traque ses faiblesses, et entretienne son corps comme la première de ses armes.
- Le restauration de notre souveraineté nécessitera l'émergence d'une noblesse nouvelle, non liée aux vieilles lignées ou à l'argent, et guidée par des valeurs faisant rempart à la fois au despotisme et à la populace.
- Cette aristocratie devra incarner la Volonté de Puissance, pas uniquement pour prendre le pouvoir, mais surtout pour restaurer ce principe comme ligne directrice de l’État, car il n'est pas de souveraineté sans puissance.
- En attendant cette heure, il est sage et sain de concevoir un univers mental et des modes d'action allant au-delà de l’État, car celui-ci n'est qu'un outil, qui se trouve de plus être dans les mains de nos adversaires : d'où l'importance du combat culturel et métapolitique.