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Le Concert champêtre, Titien, vers 1509

Le Concert champêtre est une huile sur toile attribuée à Titien, datée des environs de 1509, mesurant environ 1 m. de haut pour un 1,40 m. de long et conservée au musée du Louvre.

Dans un idéal paysage crépusculaire vallonné, baigné d'une mer calme et caressé d'une douce lumière dorée, deux hommes et deux femmes occupent le premier plan. Les hommes sont habillés et les femmes sont nues. L'homme habillé de manière aristocratique joue du luth en se tournant vers l'homme habillé de manière populaire, qui lui rend son regard tout en étant également regardé par la femme assise jouant de la flûte. L'autre femme se tient debout, appuyée contre une fontaine dans laquelle elle verse de l'eau à partir d'une aiguière de cristal. Dans le fond, un berger mène son troupeau et des villas indiquent une campagne peuplée et prospère. Notons que le titre de l'œuvre lui fut donné postérieurement.

Nous sommes dans le thème de l'Arcadie, terre de Grèce illustrant l'âge d'or. Suivant la Théogonie d'Hésiode (VIIIe s. av. J.-C.), l'âge d'or est le premier des âges de l'humanité, celui au cours duquel les hommes vivaient paisiblement dans une nature douce et nourricière, promenant leurs troupeaux au chant de la flûte et passant leur existence à jouer de la musique et céder aux caprices de l'amour. Ni maîtres, ni lois, ni propriété privée, ni guerre, ni faim, ni froid, ni souffrance ne viennent corrompre ce printemps perpétuel que de nombreux politiciens ont affirmé pouvoir restaurer, de l'empereur Auguste à Karl Marx. Car en effet, la victoire des Dieux sur les Titans et la domination de la Terre par Zeus au détriment de son père Cronos, fit entrer l'humanité dans l'âge d'argent, puis dans l'âge de bronze et enfin dans le terrible âge de fer qui oppose les hommes entre eux dans des guerres sans fin. L'âge d'or fut décrit, outre par Hésiode, par les poètes champêtres du Ier s. av. J.-C. Tibulle, Virgile et Ovide. Tous appelant à son rétablissement.

Sans avoir été totalement abandonné au Moyen Age, le thème revint fortement à la mode avec la Renaissance, et notamment après la publication du superbe poème en prose de Jacopo Sannazaro intitulé L'Arcadie, paru en 1502 à Venise. On y suit le voyage l'auteur, Syncero (Syncero est le nom de plume de Sannazaro), quittant Naples où il a connu un amour déçu pour l'Arcadie où il partage la vie tranquille des bergers, jouant de la musique en leur compagnie et participant à leurs fêtes païennes. Chaque halte est pour l'auteur l'occasion d'une méditation nostalgique au son de la flûte. Syncero finit par rentrer à Naples, mené par une nymphe dans un dédale de grottes souterraines. L'ouvrage aura un tel succès qu'il connaîtra soixante éditions au cours du seul XVIe s.

Selon moi, ce tableau illustre une scène de cet ouvrage à la mode. Néanmoins, citons deux autres interprétations, à mon sens erronées, de cette œuvre. La première, chrétienne ou platonicienne, considère que ce tableau illustre l'Amour chaste en l'opposant à l'Amour vulgaire, dont les deux femmes seraient les allégories respectives. Cette idée s'appuie sur la comparaison avec une autre toile du Titien intitulée Amour sacré et Amour profane (1514, galerie Borghese, Rome), dont le titre est également rétrospectif. Nous y voyons deux femmes, l'une décemment habillée, l'autre nue, de part et d'autre d'une cuve de marbre dans laquelle un Amour puise de l'eau. Si la comparaison est pertinente, notons que, dans Le Concert Champêtre, les deux femmes sont nues et les deux hommes qui, suivant cette théorie pudibonde, illustreraient l'un l'amour platonique sublimé dans la musique, l'autre l'amour vulgaire du berger, semblent plutôt partager la même émotion. La dernière théorie, encore moins convaincante, voit dans ce tableau une allégorie de la poésie sous prétexte que l'une des femmes tient une flûte, et qu'il s'agit d'un des attributs de Calliope, muse de la poésie épique.

Le XVIIIe s. voyait dans les écoles flamande et vénitienne l'origine de la peinture moderne. Nous avons ici une parfaite illustration de la manière vénitienne, toute de douceur et d'harmonie lumineuse. On parle de tonalisme car toutes les teintes du tableau sont soumises à une tonalité dominante ocre. Il ne s'agit pas de mettre le plus de couleurs possible pour éblouir le regard, comme chez Delacroix, mais de fondre une gamme limitée de tons dans une lumière enrobant les formes. Le sfumato est employé pour apporter encore plus de douceur, et le canon des femmes est fondé sur la beauté classique. Le jeune Titien est encore sous l'influence de son maître Giorgione qui vient de mourir, lui laissant son atelier et sa clientèle. Par la suite, son style deviendra plus dur et empâté. L'œuvre a longtemps été attribuée à Giorgione ainsi qu'à d'autres Vénitiens comme Sebastiano del Piombo, Palma Vecchio ou Giovanni Bellini.

D'abord dans la collection d'Isabelle d'Este, qui en fut peut-être la commanditaire, l'œuvre fut acquise par le roi d'Angleterre Charles Ier au cours de la première moitié du XVIIe s. Elle fut ensuite vendue au banquier français Everhard Jabach, qui la revendit, avec une importante partie de sa collection, au roi Louis XIV. Elle appartient donc aux collections du Louvre depuis ses origines. Là, elle a très certainement inspiré Edouard Manet pour son Déjeuner sur l'herbe (1863, musée d'Orsay), également copié du Jugement de Pâris de Raphaël (1514, perdu), connu par une gravure de Marcantonio Raimondi. Contrairement à ce qu'on a beaucoup dit, le Déjeuner sur l'herbe fit rire plus qu'elle ne choqua, et ce du fait de la malhabileté du traitement du sujet, qui n'avait quant à lui rien de choquant.

 

Gaspard Valènt, pour le SOCLE

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