Le peuple des campagnes a toujours cru en la Nature
Sveinbjörn Beinteinsson
Sveinbjörn Beinteinsson (1924-1993) fut un éleveur, un poète et un chef religieux islandais qui a durablement marqué son pays, et plus largement le néopaganisme germano-scandinave à travers le monde. Sa ténacité a fondé un mouvement de renaissance des traditions religieuses de son peuple, et les conséquences de ses engagements continuent encore de se déployer à travers le monde.
Nourri aux rímur, poésie chantée traditionnelle, il écrit dès l'âge de 16 ans ses premiers vers aux Aesir, les dieux de son peuple. Leur culte public avait cessé en l'an mil, tout en restant toléré en privé dans un premier temps ; ce compromis historique ayant permis d'éviter les ingérences étrangères et la guerre civile. En 1945, il publie une première compilation de poèmes. Il s'entraîne ensuite à les chanter en élevant des moutons, installé dans sa propre ferme, fidèle aux conseils de sobriété et d'autosuffisance du dieu Odin : « Mieux vaut un chez-soi, aussi petit soit-il : chaque homme est maître chez lui ; bien qu'il n'ait que deux chèvres et un toit de cordages, cela vaut mieux que de mendier. » (Hávamál, 36).
En 1971, face à l'essor de mouvements évangéliques cherchant à convertir des Islandais sur lequel le monopole de l'Église luthérienne nationale se fissure, il désire présenter les traditions sacrées de son peuple comme une alternative spirituelle viable dans le monde contemporain. C'est la naissance de l'Ásatrúarfélagið (association de la foi envers les Aesir), qui compte alors seulement douze membres fondateurs, engagés dans la renaissance d'une expression religieuse indigène de leur identité. Leur certitude est que les Aesir ne sont pas « les anciens dieux », mais bien « les dieux de leur peuple » : hier bien entendu, mais aujourd'hui encore, et demain surtout.
Le 3 mai 1973, cette association est reconnue comme un culte à part entière par l’État islandais, lui permettant de célébrer avec valeur légale les baptêmes, mariages et enterrements. Les citoyens islandais ont aussi la possibilité de s'en déclarer membres, ce qui attribue une part de leur impôt au financement de ses activités religieuses. Certains membres de l'association disent que la décision du ministre de la Justice et des affaires religieuses fut orientée par un éclair qui frappa le lieu de réunion pendant les négociations. Cela l'aurait convaincu d'aller à l'encontre des exigences de l’Église luthérienne d'Islande, afin de se concilier les bonnes grâces du dieu Thor, qui reste une figure très présente dans les mentalités comme patron des premiers colons scandinaves installés sur l'île. Cette épiphanie aurait signifié le retour des dieux, reprenant leur rôle dans la vie politique comme témoins, acteurs et gardiens des cycles cosmiques : saisons et générations humaines. De la même manière, ils sont à nos côtés dans notre entreprise de refondation de la Tradition européenne.
Parallèlement à son rôle d'Allsherjargoði (équivalent d'un grand-prêtre), Sveinbjörn continue à s'occuper de ses moutons, à chanter et composer ses propres rímur, dont il publie deux recueils. En 1983, il enregistre aussi le disque Eddukvæði, où il chante en style traditionnel des strophes extraites de textes sacrés de l'Edda poétique. Les mots ne sont plus seulement tracés sur du papier dans des grimoires poussiéreux, ni même chuchotés dans les chaumières, ils sont proclamés à la face du monde, avec leur rythme et leur mélodie, celles des scaldes d'antan, ayant reçu du dieu Odin l'art qui maintient la mémoire à jamais vivante. Cela lui permet de faire connaître cette tradition, devenant ainsi le fer de lance d'un mouvement général de renaissance d'un paganisme germanique authentique, en réaction à la perte de sacré des sociétés occidentales, aux dérives du New Age individualiste, et au néopaganisme fantaisiste issu du romantisme allemand. S'il est favorable aux adaptations et aux innovations, celles-ci se basent toujours sur une connaissance intégrale de sa plus longue mémoire, vécue d'une manière enracinée dans le pays réel, plutôt que sur des influences exogènes.
Refusant le piège de la tour d'ivoire, il s'engage aussi en faveur de son pays pour faire face aux enjeux de son temps. Dans un pays ethniquement très homogène, ces combats prendront la forme d'une ferme opposition à l'extension des bases militaires américaines et à la construction d'une centrale nucléaire, l'île ayant un potentiel géothermique exceptionnel pouvant assurer une large part de sa consommation énergétique. Il use alors de la tradition du níðstang, un bâton runique de malédiction, qu'il adapte aux mœurs de son époque en omettant la tête de cheval qui y est normalement fichée.
Les effectifs de son organisation progressent lentement jusqu'à sa mort en 1993. En 2014, elle compte plus de 3000 membres, soit près d'un Islandais sur cent, avec un taux de croissance annuel moyen de 15%. Elle dispose actuellement d'une nécropole pour ses membres, et d'un temple en cours de construction, ancrant les lignées et les croyances dans le paysage pour retrouver ainsi l'union des trois dimensions de cette religion du sol, du sang, et de la pensée. L'exemple islandais a contribué de manière déterminante à la naissance de mouvements similaires dans d'autres pays, en Scandinavie mais aussi dans le reste de l'Europe, en Amérique du Nord, et en Australie. L'audace d'un jeune berger et de ses onze premiers compagnons a clairement porté ses fruits, et montre bien que le terreau de l'âme européenne porte encore en lui-même les semences qu'il suffit d'arroser pour qu'elles germent à nouveau.
En plus d'incarner un certain idéal du poète religieux ancré dans le monde rural, il a donc fortement contribué à la renaissance et à la reconnaissance du patrimoine germano-scandinave, grâce à une vision d'avenir fidèle à la Tradition. Comme nous, il était éternellement lié à la tradition européenne et avait vocation d'en être l'avant-garde. Le terme trú contenu dans « Ásatrú » signifie, dans les langues germaniques, aussi bien la foi que la fidélité. Comme Sveinbjörn, nous avons une confiance inébranlable en notre héritage, notre héritage européen à multiples facettes, qui porte en lui toutes les armes nécessaires à notre succès - pour peu que nous réapprenions à les manier. C'est en ce sens qu'il est aujourd'hui une des figures tutélaires du Socle.
Heill Sveinbjörn Beinteinsson !