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Enquête sur la monarchie, de Charles Maurras

Point besoin de présenter Charles Maurras. On sait qui est l'homme, on sait sa qualité de figure indépassable du courant monarchiste, et l'on sait qu'il vaut mille théoriciens et penseurs politiques contemporains. On reconnaitra sans mal qu'à notre époque, plus de cent cinquante ans après le renversement du dernier roi de France (ou, plus spécifiquement dans son cas, des Français), le monarchisme peut sembler quelque chose de parfaitement vain, et pour certains, un vœu pieux. Mais le monde dans lequel nous vivons est dans un état si catastrophique, au point de connaître pour la première fois une réelle menace d'extinction, qu'il serait malavisé de négliger toute voie, y compris celle-ci, si impraticable la restauration semblât-elle. Après tout, l'Histoire est remplie de surprises...

 

Félix Croissant, pour le SOCLE

La critique positive d'Enquête sur la monarchie au format .pdf

 

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C'est sur Enquête sur la Monarchie, le huitième livre de Charles Maurras, publié en 1900, que se penche le présent article. En 1924, Maurras, alors au sommet de son influence et de sa gloire, se lamente que l'on réimprime ce "vieux livre" : pour lui, sa réimpression "accuse la longueur de la crise et l'ignorance du seul topique approprié". Les gigantesques bouleversements du premier quart du 20ème siècle et leurs millions de morts n'ont pas "fait varier d'un iota le problème central de la vie publique française, sa faiblesse de direction". En résumé, la dégringolade institutionnelle continue (et elle continue encore de nos jours, réduisant l'écart susmentionné entre nos époques !), et il n'y a personne pour éteindre le moteur. Il va sans dire que Maurras, déjà partisan du rétablissement de la monarchie, en sort davantage persuadé de l'inanité des gouvernements républicains, paralysés par le jeu politique, et donc de la capacité de la République, mais aussi de la démocratie républicaine, à garantir l'ordre et la sécurité du peuple français face aux bouleversements à venir, dont il ne doute pas un seul instant. "En fait, on se demande toujours, et de plus en plus : oui ou non, l'institution d'une monarchie n'est-elle pas de salut public ?"

 

Après le limpide Mes idées politiques, on tient là la pierre angulaire de la pensée politique de Maurras. Car l'homme propose un système. De nombreux intellectuels de l'époque le voyaient d'ailleurs comme le seul homme de droite dont le positionnement se caractérisait par AUTRE CHOSE que son opposition systématique à la gauche — inspirant au Socle la nécessité de la critique positive qui caractérise son action. Le passé et le présent continuent de se confondre : cette droite en crise d'identité, ne la connaissons-nous pas par cœur, aujourd'hui ? Cette droite que l'on a tendance à chercher, à la substance oblitérée, tout comme à gauche, par l'idéologie sociale-libérale ?

 

En prenant soin d'éviter toute grandiloquence, l'on peut affirmer que c'est d'hommes de la trempe d'un Maurras que notre présent aurait besoin.

 

La deuxième partie d'Enquête sur la monarchie est une succession d'échanges épistolaires entre lui et de grands intellectuels de l'époque. On ne s'arrêtera pas sur eux pour privilégier la pensée propre à Maurras, qu'il développe dans les cent-cinquante premières pages du livre, mais on encourage vivement à le lire toute personne doutant du bien-fondé du socialisme ou de la sincérité des communiqués du MEDEF.

 

Points clés de la pensée de Maurras

 

À notre époque aussi trouble que charnière où la novlangue sociale-libérale a semé dans les esprits une confusion coriace, il est peut-être judicieux de commencer par rappeler la distinction que Charles Maurras fait entre la patrie et la nation : "la partie est le territoire où les aïeux ont vécu, la nation est le mouvement de la race dans le passé et l'avenir, autant que dans l'instant." Si l'idée de nationalisme ne cessera de muer dans l'esprit de Maurras, le patriotisme, lui, relève de l'évidence. Ce point étant éclairci, permettons-nous une petite liste, parce qu'il en faut toujours une pour aérer une prose, comme les dialogues dans un roman, d'autant plus que ladite liste est parfaitement justifiée : il s'agit de cerner davantage la pensée de l'homme, avant de s'arrêter sur les détails de son ouvrage. Parce que "royaliste" est une désignation à peine moins floue qu'"homme de droite". Alors, donc…

 

- Son nationalisme :

            * Celui dit "intégral", par son amalgame au traditionalisme contre-

révolutionnaire

            * Positiviste, plutôt que mélancolique à la Maurice Barrès

            * Réaliste, plutôt qu'influencé par de périlleuses projections

            * Non-ethniciste

            * Conforme à la conception française de nation

 

- Son patriotisme :

            * Destiné, à terme, à remplacer le nationalisme, dominant depuis 1789

            * Une version tempérée de celui, belliqueux, d'un Paul Déroulède

            * Une version "virile" de celui de Barrès, un peu trop républicain à son goût

 

- Sa monarchie :

            * Héréditaire

            * Dépouillée de la composante "de droit divin"

            * Traditionnelle

            * Antiparlementaire et décentralisée, deux points fondamentaux

            * N'excluant "cependant rien des nouvelles habitudes de l'esprit : elle peut être populaire sans rien avoir de démocratique"

 

L'oligarchie et la théorie des "Quatre États Confédérés"

 

Commençons dans un esprit qu'Alain Soral ne renierait pas.

 

Dans son Enquête, le positionnement de Charles Maurras contre la République et contre la démocratie n'attend pas bien des pages avant de connaître ses premiers développements. L'homme ne croit pas une seconde à la première, qu'il considère comme un "expédient de passage", et dont il condamne la corruption de "trois quarts de siècle d'Histoire officielle", notamment sous l'influence d'un protestantisme revanchard. Quant à la seconde, il la méprise cordialement, qu'elle soit parlementaire ("est parlementaire quiconque préfère des explications à une attitude", selon son ami avocat André Buffet) ou autre (même une virile, comme la césarienne, puisque menant fatalement à l'empire, dont il semble se méfier).

 

Corruption, le mot est dit. Puisqu'elle est "gouvernable par l'or", et que ce dernier peut aisément dénationaliser le pouvoir, la démocratie est considérée par Maurras comme la "vaseline" de la domination du monde par la bourgeoisie, forcément minoritaire. Dénationaliser le pouvoir, comme ce sera plus tard le cas avec la création d'instances supranationales comme l'Union Européenne, implique une émasculation presque littérale de la république : cette dernière "étant le régime qui exclut le principat d'un seul, un gouvernement de plusieurs peut-être celui du petit nombre" (n'induisant cependant pas que cette faiblesse est inhérente à l'idée-même de république). Et au-delà de la "tribu honteuse des politiciens", guère plus que de simples pions, se trouve l'oligarchie, où est faite la part belle à l'hérédité naturelle, privilégiant ainsi les Juifs, les Protestants, les Métèques et les Franc-maçons… en d'autres termes, ce que Maurras appelle l'Anti-France, qu'il perçoit comme le véhicule parfait des forces libérales, fortifié par les idées révolutionnaires, naturellement, mais aussi par le romantisme, selon lui un produit de la pensée révolutionnaire célébrant, entre autre, la conception individualiste du monde.

 

Il faut préciser cependant que Maurras n'est pas Rosa Luxemburg. Il n'est pas l'ennemi du grand capital, et croit en la possibilité d'un patronat patriote : "Il n'y a point de nation moderne sans une économie industrielle, ouvrière et patronale, profondément unie à l'esprit et à la substance de la nation." Il suffit d'un état assez fort pour le mettre au pas, et déterminé comme un Napoléon 1er disant "La Bourse, je la ferme, les boursiers je les enferme."

 

"La démocratie, c'est la mort !"

 

"Prise en fait la démocratie c'est le mal, la démocratie c'est la mort. Le gouvernement du nombre tend à la désorganisation du pays. Il détruit par nécessité tout ce qui le tempère, tout ce qui diffère de soir : religion, famille, tradition, classes, organisation de tout genre. Toute démocratie isole et étiole l'individu, développe l’État au-delà de la sphère qui est propre à l’État. Mais dans la Sphère où l’État devrait être roi, elle lui enlève le ressort, l'énergie, même l’existence. […] Nous n'avons plus d’État, nous n'avons que des administrations"

 

Si la réflexion et sa formulation peuvent choquer, ses arguments ne manquent pas de solidité. On a parlé plus haut de la tribu honteuse des politiciens. François Amouretti, éminent militant de l'Action Française, écrit que "si nos gouvernants sont, pour beaucoup d'entre eux, d'une médiocrité trop basse, cela est dû à l'introduction continue et croissante, durant un siècle, des procédés démocratiques pour le choix des politiciens". Pour croire à la démocratie, il faut croire au bien-fondé de la mécanique politique telle que nous la connaissons. Or aux yeux de Maurras et ses siens, la vie de la créature politicienne semble valoir à peine plus que celle d'un coléoptère : s'ils pouvaient tous passer l'arme à gauche un jour, ce dernier deviendrait fête nationale. Il faut dire qu'au moment de la rédaction d'Enquête, la IIIème république est au pire de sa forme, cumulant les scandales politico-financiers qui mèneront sans relâche à son écroulement, quinze ans plus tard.

 

Pour Maurras, on doit impérativement sortir la France de l'emprise démente des partis, car "la France n'est pas un parti". Un chef élu restant, au final, "la création d'un parti qui se doit à ce parti", il n'y a pour ainsi dire aucun pilote dans l'avion Démocratie. Pas besoin, ceci dit : ce n'est pas un avion, mais un drone de combat lancé sur la civilisation française. Déguisé en idéal démagogique, il a le champ libre pour aliéner l'individu, générant un "régime d'élimination de la cité au profit d'une société amorphe d'individus égaux et épars" (Maurras étant naturellement un anti-individualiste) où tout se désagrège, religion, famille, traditions, laissant un système vide où le droit serait le seul fédérateur ("on se retourne ainsi vers le droit quand la cause est perdue"… pensée qu'un Jean-Claude Michéa explore brillamment dans son Empire du moindre mal). Maurras se méfie donc de l'égalité au sens où l'entendent les Républicains, ferment de cette société en sursis, assimilant l'égalitarisme démocratique "à la trop fragile justice sociale" des utopistes du 19ème siècle.

 

Le désordre est maintenu et accentué par l'incohésion d'un peuple dont les électeurs du parti mis en échec, plutôt que de respecter le vainqueur, n'auront de cesse de travailler à son échec (réflexion balayant au passage la sacrosainte alternance qui fait tourner notre pays en rond depuis maintenant des décennies) : "Le succès des majorités est un phénomène de force qui n'inspire pas plus de respect ni d'estime que le succès d'un coup d'état". Puis le désordre devient inévitablement chaos par l'absence de Dieu, et donc de transcendance, réflexion étonnante de la part de l'athée Maurras, et d'autant plus admirable : "que l'invocation rituelle du peuple vienne à fléchir, il n'y aura plus rien". L'homme trouve la chose d'autant plus ironique qu'après avoir "tué" Dieu, les Républicains anticléricaux passeront leur temps à lui chercher un substitut, menant au culte de la Gueuse et de la laïcité, partenaires dans le crime. Un aveu d'échec pour une société piégée dans l'impasse du matérialisme athée. Et parce que la nature a horreur du vide, "la violence profitera de ce que perd la superstition qui reste". Une violence qui rappelle furieusement le modus operandi des fascismes…

 

Le culte du progrès est un autre danger contre lequel Maurras met en garde : "la course échevelée à ce mieux ennemi du bien est le ressort moral constant de la République démocratique, l'aiguillon des meilleurs, le prétexte des pires, et sans y rendre le progrès plus certain sous aucun rapport." Plutôt que de nous perdre dans l'adoration d'un futur hypothétique, veillons à ne pas mépriser l'héritage du passé et la préciosité du présent. Les conséquences actuelles (et hélas incomplètes) de la folle course en avant du 20ème siècle menée par un progressisme aussi arbitraire qu'intransigeant semblent lui donner raison.

 

À cette hystérie démocratique, Maurras oppose le "juste enthousiasme du droit royal, une passion sereine" (à quelques détails historiques près…). À l'insatisfaction perpétuelle, causant davantage de dommage qu'elle n'apporte de solution à la quête de bonheur des hommes… quelque chose de moins pressant, peut-être ? Selon Maurras, l'on fait croire à l'homme moderne qu'il veut la démocratie. "On parle toujours de l'éducation du peuple souverain, mais on ne la fera jamais". Peut-être parce que les arguments manquent ? Même dans une société démocratique opulente, l'inconscient collectif est toujours charmé par le "mythe de Camelot", pour reprendre l'expression employée par des historiens américains au sujet de la saga Kennedy. Entre une tablée de parlementaires mous de la démocrates et un homme fort, le peuple a vite fait de choisir. Une réalité qu'il faut justement ignorer. La novlangue revient alors sur scène : plutôt que d'éduquer, pourquoi ne pas rééduquer ?

 

Pour une monarchie héréditaire

 

Ainsi, la monarchie héréditaire semble être, pour Maurras, la seule voie, la seule chance de rétablissement de la grandeur culturelle, politique, morale, et économique de la France. Contrairement à Barrès, Maurras pense que "le pouvoir royal, comme tous les pouvoirs, est antérieur à l'acceptation et à l'assentiment des électeurs." Il parle du "vrai" pouvoir, celui qui ne s'obtient pas par les urnes… mais ne se prend pas non plus par la force ; celui qui préexiste. On concèdera que cette pensée lui donne des airs de grand optimiste.

 

Un des mots qui reviennent souvent dans la pensée de Maurras est le mot "incarnation". La nation doit être incarnée. Le peuple français doit être incarné. Une aspiration que partage peut-être, là aussi, le peuple, à défaut de savoir la formuler. La France est une "réalité organique, porteuse d'un patrimoine", et il faut sans plus attendre se fondre dans cette organicité. La souveraineté doit s'inscrire dans le temps : pour lui, la patrie doit être considérée par son souverain comme le champ l'est par la famille de paysans. Il vante la supériorité de l'appropriation définitive sur le "bail révocable", expression dont l'écho est des plus douloureux à l'ère du rachat par les Qataris de pans entiers de notre territoire, parfois de notre patrimoine, des conférences à 200 000 dollars d'un Nicolas Sarkozy, ou du consulting d'un Tony Blair pour le président du Kazakhstan. Exit la mentalité d'employé qui peut changer d'entreprise d'un jour à l'autre, place aux liens "éternels". On doit parler ici de véritable charge, terme qui a perdu toute sa valeur chez les gouvernants modernes : "le possesseur de la couronne en est aussi le serf." Dans sa condamnation de la monarchie antidynastique, Maurras prend pour parfait exemple Napoléon 1er, "obligé à une défensive épuisante contre les formes d'usurpation similaires à la sienne", et donc incapable de gouverner proprement. "L'autorité du meilleur est continuellement parasitée par des tentatives continuelles de remplacement"

 

Point important cité dans le premier paragraphe : Maurras se fiche de la composante "de droit divin". Pas de théologie, dans son discours : juste du darwinisme bien pragmatique. Ses dynasties sont ce qu'elles font. C'est là qu'intervient sa "race des seigneurs", nobles par la génétique (il la compare à une race de chevaux coureurs ou de chiens chasseurs), mais aussi par l'éducation des valeurs, car le métier s'apprend, comme partout ailleurs. Des esprits chafouins pourront évoquer les quelques rois fous ou impotents qui ont esquinté l'image de la couronne, mais on insistera sur le terme "quelques", perdus au milieu de siècles de gouvernance, et de son côté, Maurras voit la régence comme un pare-feu efficace aux défaillances de règnes. Il pourra même leur citer Frédéric Amouretti, comme il le fait dans son livre, en défense du bilan des rois de France : "regardez leur œuvre : c'est la France".

 

Bien sûr, Maurras ne néglige pas la possibilité d'un retour raté à la monarchie, qui aurait la capacité de provoquer en retour un 1789 bis. Il répond que 1789 fut la seule occasion en huit siècles et trente-trois règnes où la monarchie capétienne se trouva "inférieure à sa fonction". On ajoutera sur un ton plus familier qu'il ne faudrait pas non plus se servir de cet argument comme d'un prétexte à ne rien faire.

 

Réformer pour conserver

 

Car l'inaction est notre ennemie mortelle, puisque le temps, tout comme le nombre, joue contre nous. À une époque où critiquer Tweeter relève du passéisme, et où la démocratie de marché vampirise à peu près tout ce qui bouge, la préservation de la nation française tient à la seule efficacité du processus réformateur qu'il nous incombe d'enclencher.

 

Dans une de ses lettres retranscrites par Maurras dans son Enquête, le duc d'Orléans résume la pensée de l'Action Française : "L’unité profonde de la conception royaliste tient à ce qu’elle est réformatrice. (…) La monarchie doit être forte, la décentralisation et la liberté d’association étant les conditions nécessaires des libertés civiles". De son côté, et c'est un point sur lequel il faut insister, si Maurras n'est pas contre le suffrage universel en soi, il souhaite changer sa compétence : non plus diriger la nation, mais la représenter. Abolir la République au sommet de l'État, et l'établir dans les états professionnels, municipaux et régionaux. Tous ces éléments nous placent, malgré tout, dans une démarche réformatrice absolue.

 

Mais quand Maurras estime que la monarchie ne pourra se rétablir que "par la force", il ne propose pas un génocide à l'heure du thé. En tant que contre-révolutionnaire, l'homme ne confond pas réforme et insurrection : il veut "créer l'état d'esprit pour rendre possible et facile ce coup". En gros, "élever" le peuple à travers l'éducation et la culture dans une logique gramscienne. L'objectif même d'Enquête est d'aider à la naissance d'une pensée monarchiste dans l'esprit d'un peuple français qui n'attend plus que ça, face au chaos du monde qui l'accule à la dépression.

 

Bien que son nationalisme intégral s'en distingue foncièrement, Maurras dit quelque chose de très juste sur le Risorgimento, grandiose opération d'unification d'une Italie pourtant des plus bigarrées : "comme les anciens, et à la différence des hommes de 1789, ils invoquaient les aïeux et la tradition, la terre et les morts." Comme les hommes qui firent le Risorgimento, il croit fort à un "conservatisme d'avenir".

 

La nation, quoi qu'il arrive

 

Sans nation, il n'y a que néant. Dans le discours de Maurras, elle est omniprésente, quel que soit le système qu'il observe, condition sine qua non de l'existence de la France. Nul besoin de citer Jaurès et la nation, seul bien des pauvres, pour justifier son existence ; elle est juste là. Fort de cette assurance, Maurras suggère à plusieurs reprises dans son Enquête l'idée de "Droit national", qui remplacerait le droit démocratique : "par-delà l'agonie du droit démocratique, regardons s'allumer le flambeau du droit national !" Ce dernier tendrait à réunir une unanimité de suffrages qu'il n'aurait "pas besoin d'exprimer par un scrutin." Le Droit national est ce qui appelle notre futur souverain à émerger des cendres de la démocratie, et ce qui garantirait son avènement. Dans la France réformée de Maurras, on ne doit redouter ni véritable crise de discipline et d'obéissance, ni profonde carence du commandement. "Ce qui sera demandé au nom du salut public sera fait. Ce qui incarnera plus ou moins la nation exercera, sans grande difficulté, un pouvoir qui sera puissant. Le droit national y suffira plus et mieux qu'aucun autre." Le concept n'est pas parfaitement exploité ni cerné dans Enquête puisque tel n'est pas son sujet, mais une prochaine lecture de l'œuvre de ce cher Maurras y apportera sans aucun doute la lumière escomptée.

 

"Bon ou mauvais, l'avenir est aux nations. Ce que le pâtre serbe, le laboureur bulgare, l'étudiant chinois, le jardinier-guerrier ottoman sont en train de vouloir va pénétrer pour des siècles toutes les profondeurs de l'Afrique et de l'Asie, de sorte que ce qui ne sera pas fortement rassemblé et uni en corps de nation se trouvera menacé d'être ruiné, massacré, effacé." Lue à l'aune des grandes tragédies du 20ème siècle, cette phrase puissante peut faire frémir certains. Le défi du patriote sera précisément de surmonter cette sensation pour enfin se libérer de l'emprise de la grille de lecture moderne qui assimile la nation aux pires totalitarismes, comme le soutien mal informé de Maurras à Vichy a permis à ses détracteurs de souiller toute sa pensée, pourtant très éloignée des dogmes qui ont meurtri l'humanité.

 

Conclusion

 

Plus que jamais, le discours de Maurras a une forte résonance dans l'état dramatique d'une civilisation européenne à la croisée des chemins. On ne niera pas la difficile prégnance de ses "propositions" dans le monde d'aujourd'hui en ce qu'elles sont inévitablement ancrées dans la pensée royaliste : en 2014, cette dernière ne vaut pas plus qu'une plaisanterie dans l'imaginaire commun (une personne disant adhérer à ses idées ne s'attirera pas les foudres des bien-pensants, obnubilés par le seul électeur FN), et l'on ne peut pas faire plus éloigné de l'échiquier politique que les milieux royalistes, trop occupés à leurs querelles de clocher entre légitimistes et orléanistes, pour ne citer qu'eux. Le royalisme n'est pas ce qui sauvera la France du Grand Remplacement de Renaud Camus. Mais selon les événements des dix ou vingt prochaines années, peut-être y verra-t-on un recours possible dans un avenir plus ou moins lointain.

 

À l'heure actuelle, peut-être parce qu'il est encore sous l'emprise du "logiciel démocratique", l'auteur de ces lignes n'adhère pas suffisamment aux idées de Maurras, si pertinentes fussent-elles, pour se dire royaliste. Mais sa méfiance grandissante envers nombre d'institutions du social-libéralisme et envers la mécanique-même des partis politiques — quels qu'ils soient — lui interdit d'ignorer ce qu'implique d'immense et historique l'échec des systèmes en vigueur aujourd'hui. Indéniablement, l’intérêt pour la monarchie augmente à mesure que la république éloigne la France du "Bien Commun". Il serait ainsi déraisonnable de négliger la pensée royaliste.

 

Enquête sur la monarchie inspire plusieurs exercices : d'abord, examiner la possibilité et les moyens pratiques d'un retour de nos sociétés à un régime monarchique ; et à penser ce processus dans le cadre européen, le cadre de l'Europe des nations. Ensuite, faire de même avec le rétablissement d'une aristocratie : quelle pourrait être sa nature, face à son substitut moderne et nocif qu'est l'oligarchie financière ? Explorer les implications morales de l'incarnation de la France dans un seul individu. Enfin, traquer les effets les moins visibles de la propagande républicaine sur l'Histoire de France telle qu'elle est enseignée. C'est peut-être le point le plus crucial : d'abord, parce que sans connaître l'étendue des méfaits de l'ennemi, l'on ne peut établir une défense solide ; ensuite, parce qu'une exploration de ce sujet méconnu pourrait apporter un lot de cartouches inespéré au traditionaliste.

 

 

Pour le SOCLE

 

- Le libéralisme est le grand gagnant de 1789.

- Le politicien est une créature corruptible, et l'emprise des partis politiques aliène la France.

- La démocratie, c'est la mort, régime d'élimination de la cité au profit de l'individu.

- La république ne survit pas à la dénationalisation du pouvoir.

- Une société sans transcendance n'est rien.

- La France est une réalité organique qui doit être incarnée.

- L'institution d'une monarchie est de salut public.

- La monarchie restaurée doit être héréditaire, mais pas de droit divin.

- Le destin du monarque doit être associé jusqu'à la fin de sa vie à celui de la nation.

- Le droit national doit remplacer, à terme, le droit démocratique.

- Le nationalisme doit être réaliste et non-ethniciste.

- Le suffrage universel peut être appliqué à une échelle plus locale.

- La conservation passera par la réforme, et la restauration par une révolution conservatrice.

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