Dominique Venner nous dit dans le chapitre 1 : « Qu'est-ce que notre tradition ? Les Européens portent-ils des principes de régénération et de renaissance ? Est-il possible de rester soi-même en dépit de la confusion ambiante ? Telles sont les interrogations qui animent ce livre ». On ne saurait mieux résumer ici l'ambition de Histoire et tradition des Européens, 30 000 d'identité 1 que Dominique Venner traduit par « une métaphysique de l'histoire, une recherche des valeurs qu'elle révèle ».
Structure de l’œuvre : Ce livre suit selon Venner une « spirale logique » et non une progression linéaire. L'axe de rotation qui s'en dégage constitue les valeurs européennes dont la permanence dans le temps permettra au lecteur, au gré des pages, de converger vers elles.
Gwendal Crom, pour le SOCLE
La critique positive de Histoire et Tradition des Européens au format .pdf
Dominique Venner a cherché à travers ce livre, et toute sa vie d'historien méditatif durant, à savoir ce que nous sommes, savoir ce qui nous guide, en étudiant, en méditant l'histoire de notre continent sur la longue durée. C'est-à-dire à dégager l'essence même des Européens et qu'il nomme « Tradition ». En traversant les âges, Dominique est parti à la recherche de ce qui perdurait. Rechercher ce qui est primordial et non ce qui est primitif, premier. Car telle est la grande définition de la tradition selon Venner : c'est ce qui revient sans cesse sous des formes différentes. Ce qui irrigue continuellement nos pensées, nos représentations, quelle que soit l'époque à laquelle nous vivons. Oui, Dominique Venner nous appelle à vivre selon nos traditions et pour ce faire, la première tâche qui nous incombe est de les redécouvrir. Car selon Venner, l'âme européenne est endormie, en dormition. Dépouillés de leurs anciennes valeurs, les Européens sont de fait plongés dans un coma dont l'un des premiers responsables (chronologiquement parlant) fut le christianisme, nous y reviendrons plus tard.
L'Européen a une relation au monde unique. Cette relation, cette vision du monde nous vient de temps immémoriaux. Pour tout dire, elle commença avec les premiers hommes européens. Les peintures rupestres de Lascaux ou de la grotte Chauvet (+ de 30.000 ans, reproduites en Figure 1) qui suggèrent un sentiment religieux envers le monde animal n'ont pas d'équivalent hors d'Europe nous dit Dominique Venner. De fait, il y a aussi loin que le permettent les yeux des historiens, une véritable homogénéité archéologique des Pyrénées à l'Oural, de la Baltique à la mer Egée.
Le plus puissant témoignage de cette européanité est L'Iliade 2 (avec L'Odyssée 3). C'est pour Dominique Venner, la Bible des Européens, l'alpha et l'oméga de la psyché européenne.
Quelle que soit la lignée européenne considérée : Celtique, Germanique, Slave, Italique ou Hellène, on pourra retrouver les même inspirations, la même vision et les mêmes Dieux boréens, ouraniques qui se grefferont et prendront le pouvoir sur les anciennes divinités chtoniennes présentes avant l'arrivée des Indo-Européens. Ce sont les mêmes principes d'honneur, de courage, une même vision de l'amour que l'on pourra à chaque fois retrouver.
Les héros décrits par L'Iliade trouvent leurs équivalents chez les autres peuples européens et nulle part ailleurs. On pensera par exemple à Achille chez les Grecs qui trouve ses équivalents avec Cúchulainn chez les Celtes et Siegfried chez les Germains. Pour en revenir à la vision de l'amour qu'ont les Européens, Dominique Venner tient à nous rappeler avec le chapitre 9 de son ouvrage que l'amour courtois (qui va de pair avec la figure du chevalier) est une singulière (et admirable) vision de l'amour qui fleurit durant le Moyen Âge, tout imprégné qu'il fut des valeurs et des légendes de la Table Ronde du roi Arthur. De même, chaque grand mouvement né quelque part en Europe trouvera toujours son équivalent dans le reste du continent et nulle part ailleurs.
Ces correspondances que l'on retrouve entre les différents peuples européens ne doivent rien au hasard. Dès le XVIIe siècle, les spécialistes de la linguistique avaient déjà montré les nombreuses similitudes entre les différentes langues européennes et par reconstruction ils eurent une idée assez précise de ce que devait être la langue mère qui leur avait donné naissance. Ils avaient également remarqué que le sanscrit, langue liturgique indienne semblait la plus proche de cette langue baptisée proto indo-européen. On se rapportera au Tableau I pour admirer les similitudes des différentes langues européennes à travers l'exemple de quelques mots. Le peuple originel qui parla cette langue et que Venner préfère appeler « Boréens » (pour distinguer le peuple originel des locuteurs de langues indo-européennes) venait du Nord selon de nombreuses traditions antiques. La mythologie irlandaise plaçait l'origine des Celtes dans les « Iles au nord du monde », les Grecs avaient le souvenir de l'Hyperborée dont venait le dieu blond Apollon et dans L'Iliade même, Homère parle des « Achéens aux blonds cheveux » (nda: L'Iliade raconte la guerre opposant Achéens et Troyens). Plus surprenant et véridique encore, de très anciennes tables astrologiques indiennes se sont révélées exactes à condition d'avoir été réalisées sous une latitude de 49° Nord (soit une ligne qui relie le sud du Canada, le nord de la France et le sud de la Russie). Ce peuple Boréen originel, par conquêtes successives donna sa vision du monde et ses structures sociales aux peuples qu'il conquit.
FIGURE I : Une partie des fresques murales de la grotte Chauvet. Réalisées il y a plus de 30.000 ans et représentant plus de 400 animaux, elles seraient parmi les plus anciennes peintures rupestres au monde.
Ses Dieux supplantèrent les anciens et sa société, patriarcale, solaire façonna toute l'Europe. C'est d'eux que nous avons hérité l'idéologie « tripartite » que l'académicien Georges Dumézil mit brillamment à jour au cours du XXe siècle 4. Chez les Indo-Européens, toute la société est organisée autour de trois ordres que sont la classe sacerdotale, la classe guerrière et la classe productrice que l'on retrouvera dans l'ancien régime avec le clergé, l'aristocratie et le tiers-état. Mais cette trifonctionnalité trouve également son prolongement (ou plutôt ses racines) dans la mythologie des peuples européens. Car à la première classe qui détient la connaissance, la seconde qui protège et la troisième qui concerne la production (donc la fécondité), on retrouvera toujours trois Dieux majeurs. Jupiter, Mars, Quirinus chez les Romains (honorés par les trois flamines majeures à Rome), Odin, Thor, Frey chez les Germains ou encore Mitra-Varuna, Indra, Açvin pour l'Inde Védique. Bref, quel que soit l'endroit vers lequel notre regard nous porte, lorsque nous observons notre histoire, la tradition tripartite surgit à chaque instant, à chaque endroit de l'Europe.
Mais revenons à ce qui fait de nous des Européens. Selon l'auteur, L'Iliade est la source intemporelle de notre psyché. Sens du tragique, maîtrise de soi, éthique et philosophie soumises à la volonté, défi du destin et des Dieux résument bien l'Européen. C'est le sens du tragique qui a permis aux Européens de défier le destin (et les Dieux) tout en s'y soumettant et à la pensée stoïcienne, plus tard adoptée par les Romains (peuple adapté à sa rigueur. On pensera notamment à l'empereur Marc-Aurèle 5), de ne pas dévier vers une pensée Bouddhiste (qui promeut le renoncement).
Pour Venner, la figure du héros homérique ne trouve pas d'équivalent dans les textes sacrées extra-européens. Héros homérique dont le descendant direct est la figure du chevalier qui trouve cette fois-ci son équivalent au Japon. Dans Un samouraï d'Occident 6 Venner nous dit page 95 que le Japon « présente d'étonnantes proximités avec le meilleur de l'esprit européen ». Il y reconnait même une supériorité de l'aristocratie japonaise sur celle d'Europe. Citant Maurice Pinguet et son La mort volontaire au Japon 7, Dominique Venner met en lumière que (page 113 de Un samouraï d'Occident: « Tout en se reconnaissant les mêmes principes d'honneur et de service que les samouraïs, la noblesse d'épée (française) ne réussit pas à faire triompher ses valeurs, car depuis l'échec de la Fronde, c'est une version bourgeoise de la bienfaisance chrétienne qui s'affirme. Elle s'en consolera en brocardant le pharisaïsme, en riant des tartuffes et de leurs dupes. Au Japon, l'éthique martiale réussit à s'imposer parce qu'elle mit l'accent sur l'abnégation. Celui qui répond de son honneur sur sa vie ne peut être soupçonné de mensonge. Il agit, c'est assez. Ce fut l'institution du seppuku qui exempta l'éthique martiale de toute subordination militaire, qui lui assura sa souveraineté sur la vie. La mort volontaire vint authentifier de sa sanction suprême toute l'architecture des obligations martiales ».
Français |
père |
frère |
soleil |
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|
|
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Sanscrit |
pitr |
bhrãtr |
sura |
Anglais |
father |
brother |
sun |
Allemand |
vater |
bruder |
sonne |
Breton |
tad |
breur |
heol |
Norvégien |
far |
bror |
sol |
Latin |
pater |
frater |
sol |
Grec |
patêr |
frátêr |
hélios |
Italien |
padre |
fratello |
sol |
Espagnol |
padre |
hermano |
sole |
Russe |
otets |
brat |
solnce |
Polonais |
ojciec |
brat |
sloñce |
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TABLEAU I. Quelques exemples de mots dans différentes langues indo-européennes.
Mais pour en revenir à L’Iliade et être définitif sur le sujet, les héros homériques (Achille, Ulysse, etc.) représentent un certain type d'humain. Et ce type d'humain est l'Européen. Car Dominique Venner ne croit pas à l'homme « en soi » des Lumières. Il n'y a pour l'historien méditatif (page 237) « que des hommes concrets, fils d'une hérédité, d'une terre, d'une époque, d'une culture, d'une histoire, d'une tradition qui forment la trame de leur destin ». Et Dominique Venner d'ajouter qu'être Européen par le sang ne suffit pas. Encore faut-il accepter cet héritage, de se reconnaître et de chercher à tendre vers ce modèle, c'est-à-dire être également Européen par l'esprit, avoir une âme d'Européen.
Et autre chose qu'il convient de noter, pour Venner, il n'existe pas une unique race humaine. Certes nous avons en commun le sexe, le besoin de se nourrir et de se protéger du froid mais nos façons de voir l'amour, notre définition de la liberté, tout ce qui constitue la partie la plus noble de l'esprit humain ne sont pas les mêmes que nous soyons Européens, Asiatique, Arabe ou Africain. Homère prend une liberté avec les Dieux qui aurait été inconcevable en Orient ou en Egypte. Ce sens de la liberté se reflétera de tout temps dans le cœur des Européens.
Maintenant, arrêtons-nous un moment sur ce que pense Dominique Venner du christianisme et de son rôle dans l'histoire de l'Europe. Si Venner ne fait pas mystère de son animosité envers le christianisme, il reconnaît qu'il fait partie de notre Tradition, ne serait que parce qu'il a passé l'épreuve du temps et que le christianisme (et en particulier le catholicisme) a été marqué, changé par le paganisme européen et les valeurs européennes au point de devenir ce qu'il appelle « un pagano-christianisme ». Page 46, Venner nous dit : « Les convictions de la plupart des traditionnalistes chrétiens, faîte de discipline et d'harmonie, ne s'opposent nullement à la perception de l'authentique tradition européenne et à la mise en ordre qu'elle suppose. Elle peut être vécue par tous comme l'enrichissement de ce qu'ils sont et comme un apport de force qui ajoute sans retrancher ».
Mais alors, que reproche-t-il au christianisme? Plusieurs choses. La première est d'être une mentalité étrangère aux Européens, une mentalité venue du désert porteuse d'élans vers l'infini là où la pensée antique porte vers l'absolu, la perfection et au contraire assimile le besoin d'infini à l'hubris. Mais ce que reproche également Dominique Venner au christianisme, c'est d'être une religion universaliste. Et c'est cet universalisme (et de nombreux chrétiens ne pourront qu'acquiescer sur ce point) qui est en train de tuer les Européens. « Le monde moderne est plein d'anciennes vertus chrétiennes devenues folles » nous dit Chesterton dans Orthodoxie 8. N'étant plus en position dominante dans le monde, les Européens n'ont plus les moyens de leur universalisme. Celui-ci s'est démultiplié sous différentes formes (les Lumières prirent le relais du christianisme) et de fait nous en sommes réduits à sécréter toujours plus le poison qui nous achève. Voilà pourquoi il est urgent pour les Européens de se retrouver, que ce soit autour d'un christianisme identitaire ou autour des plus anciennes traditions. Concernant le christianisme, Venner note que vers la moitié du XXe siècle, les églises chrétiennes cessèrent de présenter le christianisme comme la religion des Européens, ne leur fournissant plus aucun ferment de résistance au chaos, amplifiant bien souvent des maux qu'elles étaient censées combattre.
Pour conclure sur ce dernier point, il conviendra de préciser que le christianisme n'est malheureusement pas étranger à la création de ces nouvelles idées universalistes. Dominique Venner place le début du nihilisme européen avec Saint Thomas d'Aquin. Soyons clairs sur ce point, Dominique Venner ne rend pas responsable le saint dominicain mais enregistre le fait qu'il a ouvert une boîte de Pandore. Ainsi en page 18 nous dit-il:« Et du jour où l'existence de ce Dieu devint dépendante de la raison -effet involontaire du thomisme-, le risque s'ouvrit de le voir réfuter par la raison, ne laissant derrière lui que le vide (nda : car le Dieu chrétien est un dieu hors du monde 9). L'étape suivante fut le cartésianisme. « Je pense donc je suis ». L'homme se pense comme sujet central de l'univers ». Sur ce dernier point, Dominique Venner renvoi à Marcel Gauchet et son livre Le désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion 10. De fait, la mort de Dieu annoncée par Nietzsche signe l'avènement du nihilisme. Et les chrétiens comme les païens ne peuvent que s'entendre sur ce point et chercher ensemble à y remédier.
Pour continuer sur ce trait d'union, Dominique Venner nous met face à cet apparent paradoxe. C'est alors que nous sommes oublieux de nous-mêmes et assiégés de toutes parts (américanisation et immigration) que précisément, face à cette incroyable pression extérieure nous avons le plus de chance de reprendre conscience de ce que nous sommes. En effet, on ne se rassemble jamais mieux que face à un ennemi commun, on ne retrouve jamais mieux ses esprits que face à un danger mortel et imminent. Comme le disait Nietzsche : « L'Europe se fera au bord du tombeau ».
Il a été dit en préambule que de l'histoire, Venner tirait les valeurs immémoriales de l'homme européen. Or, ce qui fait le lien entre ces valeurs et l'histoire, ce qui met en marche l'histoire c'est la force politique. Après avoir souligné, comme il a été dit précédemment, la division primordiale de la société commune à toutes les nations européennes (idéologie trifonctionnelle), Dominique Venner redescend dans le temps, des Grecs jusqu'à nos jours pour dégager le modèle politique européen traditionnel et ce qui le mit à mal. Ce modèle c'est le système aristocratique et féodal, décentralisé et fondé sur le principe de subsidiarité. C'est ce modèle qui prédomina longtemps partout en Europe. A ce sujet, la distinction est faite entre aristocratie et noblesse. Pour Venner, il existe entre autres des aristocraties de l'argent dont l'héritage est avant tout financier. La noblesse, elle, ne s'hérite que partiellement et se mérite toujours. Page 132 nous dit-il : « Elle se gagne et se perd. Elle vit sur l'idée que le devoir et l'honneur sont plus importants que le bonheur individuel. [...] Sa vocation n'est pas d'occuper le sommet de la société mais le sommet de l'Etat. Ce qui la distingue, ce ne sont pas les privilèges, mais le fait d'être sélectionnée et formée pour commander. Elle gouverne, juge et mène au combat. La noblesse est associée à la vigueur des libertés publiques. Ses terres d'élection sont les libertés féodales et les monarchies aristocratiques ou constitutionnelles. Elle est impensable dans les grandes tyrannies orientales, Assur ou l'Egypte. En Europe, elle s'étiole ou disparaît chaque fois que s'établit un pouvoir despotique, ce qu'est le centralisme étatique. Elle implique une personnification du pouvoir qui humanise celui-ci à l'inverse de la dictature anonyme des bureaux ».
Selon Venner, cette supériorité du modèle féodal sur le modèle centralisateur va devenir éclatante avec la révolution française. Avec la monarchie absolue, Louis XIV désarma complètement la noblesse française, transformant cette dernière en ramassis de courtisans pour s'appuyer sur la bourgeoisie (on pensera notamment au cas révélateur de Colbert, issu d'une famille de banquiers et de marchands). La bourgeoisie jugea ensuite qu'elle pouvait se passer du Roi. Lorsque la Révolution éclata, le Roi était nu. Dans le reste de l'Europe, la noblesse avait gardé son rôle ancestral et pu ainsi repousser la vague révolutionnaire. On songera aussi à la noblesse russe, qui matée depuis Pierre le Grand se laissa dévorer en 1917 quand la noblesse allemande écrasa sans pitié les bolchéviques.
Mais revenons aux Grecs et aux Romains. En discourant sur les raisons de leur grandeur et de leur chute, Dominique Venner note que trois philosophes eurent une importance capitale dans l'élaboration de la pensée européenne: Héraclite, Platon et Epictète. Héraclite introduit l'éternel retour ainsi que la nécessité d'exercer sa raison pour accéder au divin (rejet de sa petitesse et de son égoïsme).
De Platon, il retient la lutte contre la décadence (dans laquelle était plongée Athènes à son époque) et la nécessité d'établir un système politique idéal : La République 11 dont Sparte est le modèle. Il regrette son aversion pour la poésie et donc son mépris d'Homère.
D'Epictète et du stoïcisme, il retient de cette pensée qu'elle apprenait à bien mourir et qu'elle offrait une véritable philosophie de l'action : courage, endurance, patience. C'est d'ailleurs pourquoi les Romains la choisir parmi toutes les philosophies que pouvait leur offrir la Grèce. Son désir de domination du corps et des passions eut cependant en termes civilisationnels des effets aussi bénéfiques que destructeurs (mépris du corps en particulier à partir de la contre-Réforme qui provoqua un retour du refoulé sous la forme de la libération sexuelle entre autres).
Malgré les sources puissantes qui les irriguaient, Grecs et Romains ne purent résister à la disparition. Mais on aurait tort de penser qu'il en fut de même pour les deux peuples. Les Grecs, même dominé par les Romains et confronté à l'Orient, ne s'orientalisèrent que de manière partielle et gardèrent leur spécificité. Venner rappelle que dans Les Lois12, Platon montre bien son aversion du métissage ainsi que celui exprimé par son peuple. Les Romains, à la mort de Jules César, passèrent de la République à l'Empire et petit à petit abandonnèrent leurs anciennes traditions au fur et à mesure que l'influence de l'Orient se faisait de plus en plus sentir au sein même de Rome (on pensera ici entre autres au délirant culte d'Elagabal importé de Syrie par l'Empereur romain originaire de ces contrées: Varius Avitus Bassianus aussi surnommé Elagabal).
De ces deux exemples, Venner nous dit que les pires des menaces pouvant peser sur un peuple, ce sont le métissage et le cosmopolitisme. Et pourtant, même pour l'époque qui est la nôtre, il ne faut pas désespérer. La renaissance après une longue période de décadence est toujours possible et les exemples ne manquent pas. L'un des plus éclatants, et ce à plus d'un titre, est celui de l'empereur romain Auguste. Alors que la république romaine s'enfonçait inexorablement dans le déclin, Auguste prépara la venue de l'Empire. Mais contrairement à ce que laisserait supposer ce qui a été dit plus haut, d'emblée il s'opposa à la fascination qu'exerçait l'Orient et mis en avant les anciens cultes romains, les « mœurs des ancêtres » : mos majorum récapitulés dans le Tableau II. Le règne d'Auguste constitua un véritable âge d'or sur tous les points: militaire, urbain, religieux et culturel. Mort à 76 ans, il se vantait d'avoir « trouvé une Rome de briques et laissé une Rome de marbre ». C'est sous son règne que prospérèrent les poètes Horace et Virgile ou encore le fameux historien Tite-Live.
Fides |
fidélité, respect de la parole donnée, loyauté, foi ; confiance et réciprocité entre deux citoyens |
Pietas |
piété, dévotion, patriotisme, devoir |
Majestas |
sentiment de supériorité naturelle d'appartenance à un peuple élu, majesté |
Virtus |
qualité propre au citoyen romain, courage, activité politique |
Gravitas |
ensemble des règles de conduite du romain traditionnel, respect de la tradition, sérieux, dignité, autorité |
TABLEAU II : Les cinq fondements des mos majorum. Source: Wikipédia
Le cas d'Auguste est donc éclairant à plus d'un titre car s'il constitue la venue d'un homme de grande valeur, celle-ci fut rendue possible par un travail qui fut réalisé en amont par des générations de philosophes. Auguste fut en effet fortement influencé par la pensée néo-pythagoricienne, le stoïcisme et le platonisme de Cicéron 13. Ceci montre de manière étincelante que l'arrivée d'un homme providentiel ne peut survenir sans un intense et collectif travail intellectuel et moral, chose à méditer longuement.
Remontant ensuite de plus en plus vers notre époque, Dominique Venner montre la persistance des anciennes valeurs romaines, qui sont elles-mêmes l'expression des plus anciennes valeurs européennes. Les mos majorum expriment avec force ce qui guida les Européens de tout temps, qu'ils soient dans la lumière de Jésus ou de Jupiter. Voilà pourquoi Dominique Venner est optimiste quant à notre avenir malgré la profonde et horrible mutation qu'il a vu se développer en 60 ans d'une vie de combat militaire, puis de combat politique puis enfin de combat culturel. Non, il récuse la notion d'Âge d'Or et d'une irrémédiable décadence, il récuse la fatalité et nous montre que tout dans notre histoire, nos mythes, nos valeurs prouve que notre destin n'est pas tracé et qu'il n'y a rien d'inéluctable. A chaque déclin succéda et succédera une Renaissance, tout comme le montre le Ragnarök 14 de la mythologie nordique et plus généralement la conception cyclique du temps des Européens. Notre première obligation en tant qu'Européens est d'être fidèle à ce qui irrigue nos cœurs depuis des temps immémoriaux et d'être présents.
Parcourir le temps de nos jours jusqu'à notre prime jeunesse puis refaire le chemin inverse pour ainsi voir ce qui persista et donc ce qui fait de nous des Européens: voici la tâche à laquelle se livra Dominique Venner avec Histoire et tradition des Européens. Nos plus lointains aïeux puisèrent aux mêmes sources et cela explique la cohérence, l'homogénéité de l'Europe quelle que soit l'époque que nous observons. Nos ancêtres nous léguèrent une vision du monde c'est à dire tout. Car elle façonna ensuite toutes nos conceptions, nos actions, notre manière d'organiser notre société et donc au final façonna notre histoire. Honneur, courage, fidélité aux siens et à son ou ses Dieux; conception cyclique du temps et métaphysique de l'absolu; vision tripartite et donc gouvernement par la noblesse du sang et du cœur; le tout avec gravité et dignité. Voilà ce que nous sommes, ce que nous devons cultiver.
Et au delà du fait d'être traditionalistes ou plutôt « traditionistes » comme préfère le dire Dominique Venner, nous sommes avant tout en tant qu'hommes et femmes, « fils [et filles] d'une hérédité, d'une terre, d'une époque, d'une culture, d'une histoire, d'une tradition ». Retrouver nos racines est plus qu'un devoir moral, c'est une nécessité naturelle. En tant qu'Européens, Venner nous dit alors que notre grand devoir se résumera ainsi: cultiver l'excellence par rapport à notre nature ainsi qu'une certaine frugalité (et ainsi se détacher de tout ce qui pourrait nous distraire de notre tâche), retrouver nos racines, transmettre l'héritage, être solidaire des nôtres et également retrouver la perception poétique du sacré dans la nature, l'amour, la famille, le plaisir et l'action. Voilà ainsi résumés ce que nous sommes au plus profond de nous et comment y accéder à nouveau. Non pas pour revenir à ce qui fut mais pour rejoindre ce qui a toujours été.
Pour le SOCLE
Bien que résumés dans la conclusion, pour plus de clarté, les éléments à retenir de cette lecture pour la quête du SOCLE sont:
- Méditer l'histoire sur la longue durée.
- Savoir que notre spécificité en tant qu'Européens n'est pas discutable et vient du plus lointain passé.
- Se réapproprier les antiques valeurs européennes résumées par les mos majorum et les transmettre.
- Re-sacraliser notre existence.
- Se porter vers une métaphysique de l'absolu.
- Être conscient des dangers de l'universalisme en particulier lorsque notre peuple est en position de faiblesse.
- Avoir pour préférence un régime aristocratique (dirigé par une noblesse de mérite) et décentralisé (fondé sur le principe de subsidiarité).
Bibliographie
- Histoire et tradition des Européens. 30 000 ans d'identité. Dominique Venner. Editions du Rocher
- L'Iliade. Homère. Traduit du grec par Fréréric Mugler. Babel. (Dominique Venner a pour préférence la traduction de Leconte de Lisle)
- L'Odyssée. Homère. Traduit du grec par Victor Bérard. Folio Classique
- Jupiter, Mars, Quirinus. Georges Dumézil. NRF Gallimard
- Pensées pour moi-même. Marc-Aurèle. GF-Flammarion
- Un samouraï d'Occident. Dominique Venner. Editions Pierre-Guillaume de Roux
- La Mort volontaire au Japon. Maurice Pinguet. Tel-Gallimard
- Orthodoxie. Gilbert-Keith Chesterton. Editions Saint-Rémi
- Jean 18:36, 1 Jean 5
- Le désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion. Marcel Gauchet. Gallimard
- La République. Platon. GF-Flammarion
- Les Lois. Platon. Commenté par Luc Brisson et Jean-François Pradeau. PUF
- La philosophie politique à Rome d'Auguste à Marc- Aurèle. Alain Michel. Société d'Etudes Latines de Bruxelles
- Les religions de l'Europe du nord. Régis Boyer, Evelyne Lot-Falck. Fayard-Delanoël